Le métavers : mort annoncé mais loin d’être enterré ?

Introduction

Le métavers est un univers numérique immersif et interconnecté où les utilisateurs peuvent interagir, travailler, et se divertir. À travers des outils comme l’AR, la VR, et d’autres innovations, le métavers propose de nouvelles façons de travailler, avec des expériences enrichies telles que l’employé augmenté, les environnements collaboratifs, ou encore des solutions pour la maintenance et la formation notamment dans le cadre de l’industrie 4.0. Ces éléments commencent déjà à transformer les pratiques des entreprises et à influencer les méthodes de collaboration au quotidien.

Les promesses initiales du métavers, comme les visioconférences immersives, les événements phygitaux et les espaces de collaboration virtuelle, laissent entrevoir des interactions numériques plus immersives et naturelles dans le monde professionnel. Ces perspectives attirent l’attention des grands noms de la technologie. Des entreprises comme Apple, Meta, et Microsoft misent et investissent sur une adoption croissante de ces technologies, convaincues du potentiel à long terme du métavers.

Dans ce contexte, quels sont les cas d’usage du métavers qui trouvent véritablement leur place dans les entreprises, et lesquels montrent des signes de pérennité ?

Cet article explore les perspectives du métavers et examine les cas d’usage concrets qui montrent comment ces technologies immersives se développent dans le monde professionnel. Entre les espoirs initiaux et la réalité du terrain, nous verrons si les attentes en matière de collaboration immersive et de productivité se concrétisent ou si des obstacles freinent encore l’adoption de ces technologies

L’essor du Métavers pendant la pandémie

La pandémie de COVID-19 a accéléré l’adoption du métavers, les entreprises et individus cherchant des alternatives numériques pour maintenir les interactions sociales et professionnelles.

Parmi ces solutions, certaines plateformes immersives se sont démarquées, comme Mozilla Hubs, une plateforme VR lancée en 2018. Cette plateforme permettait de créer et rejoindre des espaces virtuels depuis un navigateur, sans casque VR. Très populaire durant les confinements de 2020-2021, elle a fermé en 2023, incitant les entreprises à explorer d’autres options.

Dans ce cadre, nous avons rencontré Teemew, une startup française qui incarne parfaitement cette évolution des usages et des attentes. Lors de notre échange, ils nous ont présenté leur plateforme, qui s’inscrit dans une nouvelle génération de solutions immersives. Conçue à l’origine comme une plateforme full VR, Teemew a rapidement adapté sa stratégie dès 2020 pour proposer une expérience accessible à tous depuis le web, sans nécessiter d’équipement spécifique. Cette transition stratégique reflète leur ambition de démocratiser l’accès aux environnements virtuels, tout en répondant aux besoins concrets des professionnels : flexibilité, accessibilité et surtout simplicité.

Ce repositionnement n’est pas un cas isolé. Il témoigne d’une tendance plus générale dans le domaine des technologies immersives, où l’on observe une volonté de s’éloigner des outils complexes et onéreux pour privilégier des solutions légères, inclusives et directement exploitables par les entreprises.

Aujourd’hui de nombreuses startups, présentes dans notre radar des startups du Digital Workplace, telles qu’Aptero, Workadventure et V-Event, explorent les environnements virtuels pour proposer des espaces de travail interactifs adaptés aux entreprises.

Figure 1 : réalité augmentée vs réalité virtuelle

Retour à la réalité physique

Après la pandémie, un besoin de retour à la réalité physique a émergé dans de nombreux aspects de la vie quotidienne, bien que cela se soit manifesté différemment dans le domaine du travail. Le télétravail et le flex office sont désormais devenus la norme, ouvrant la voie à des innovations comme le métavers dans le Digital Workplace.

De nombreuses entreprises expérimentent déjà ces technologies immersives pour optimiser la collaboration à distance et améliorer l’engagement des employés, notamment à travers les formations immersives, les réunions virtuelles et les événements en ligne.

Cependant, cette hybridation croissante du travail soulève de nouveaux défis pour les entreprises, notamment en matière de cohésion d’équipe et de contrôle managérial dans un contexte de télétravail prolongé. C’est ici que des solutions comme Teemew se démarquent, en proposant une alternative innovante basée sur la présence virtuelle. Leur offre « Team Spirit » recrée l’expérience des bureaux physiques dans un environnement immersif et personnalisable, où les équipes peuvent interagir de manière fluide et intuitive. Cette présence virtuelle permet de réduire la distance ressentie entre les collaborateurs, tout en répondant aux préoccupations des dirigeants en leur redonnant un sentiment de contrôle, grâce à des fonctionnalités telles que la visualisation des collègues connectés, des réunions en cours, ou encore la sécurisation de certains espaces pour garantir la confidentialité.

Chez Wavestone, notre radar des startups du Digital Workplace a révélé une augmentation significative des solutions facilitant l’adoption du flex office, soulignant un intérêt croissant pour de nouvelles façons de travailler. Mais reste à savoir si ces technologies trouveront une adoption massive ou si elles demeureront limitées à certains secteurs ou cas d’usage spécifiques.

Les illustrations ci-dessous, issues de l’étude McKinsey, mettent en évidence un contraste entre les attentes des consommateurs et les priorités des entreprises en matière de métavers.

Les attentes des consommateurs vis-à-vis du métavers sont principalement orientées vers des activités de divertissement. Les cinq activités les plus citées sont d’ordre sociales, ludiques ou récréatives : socialisation, divertissement, gaming, voyage et shopping. Ce constat révèle que, pour beaucoup de personnes, le métavers est perçu comme un espace destiné à des usages personnels, loin des préoccupations liées au travail ou à la productivité.

Du côté des entreprises, les cas d’usage mis en avant incluent les campagnes marketing, la formation des employés, les réunions immersives, les événements et conférences, ainsi que la conception de produits. Par exemple, le métavers permet aux marques de recréer leur univers dans des environnements virtuels immersifs, offrant ainsi des expériences interactives pour promouvoir un produit ou un service.

Bien que les consommateurs associent largement le métavers à des activités récréatives comme les jeux ou des interactions sociales, les entreprises y voient un outil pour atteindre des objectifs concrets. Elles exploitent ces environnements virtuels pour des usages centrés sur la productivité, tels que le marketing, la formation, et la collaboration. Ce contraste montre que le métavers, loin d’être uniquement un espace de divertissement, s’adapte aussi aux besoins professionnels pour répondre à des enjeux de productivité et d’innovation.

Bien que les entreprises voient dans le métavers un terrain d’innovation, tous les cas d’usage ne rencontrent pas le succès attendu. Par exemple, la Metaverse Fashion Week illustre les défis auxquels sont confrontés les événements immersifs. En 2022, des marques prestigieuses comme Dolce & Gabbana et Etro ont proposé des défilés virtuels, mais l’expérience a été critiquée pour son manque d’interactivité et ses problèmes techniques. En 2023, malgré le soutien de marques telles qu’Adidas et Diesel, l’événement a de nouveau souffert d’une faible participation et d’une interface peu intuitive sur Decentraland.

Ces exemples montrent que, malgré les efforts des entreprises pour utiliser le métavers comme lieu d’événements et de conférences, ces initiatives peinent à susciter un réel intérêt auprès du public

Investissements et défis

Même si certains cas d’usage, comme les événements virtuels, peinent à convaincre, le métavers continue d’attirer l’attention des géants de la technologie.

La plupart des grands groupes technologiques concentrent aujourd’hui leurs investissements sur l’intelligence artificielle, mais ils continuent néanmoins à parier sur le potentiel du métavers. Des entreprises comme Apple et Meta investissent encore massivement dans ces technologies immersives, affichant leur confiance dans son développement à long terme, malgré l’adoption hésitante des consommateurs.

Apple a récemment introduit l’Apple Vision Pro, un casque de réalité mixte vendu à 3 499 dollars. Bien qu’environ 200 000 unités soient estimées comme vendues, générant près de 700 millions de dollars, ce chiffre reste infime face aux ventes globales d’Apple. À titre de comparaison, au premier trimestre 2024, les iPhones ont généré 69,7 milliards de dollars. Les ventes de Mac et d’iPad, qui ont respectivement généré 7,8 et 7 milliards de dollars, ainsi que les accessoires (incluant l’Apple Watch), avec 12 milliards de dollars de chiffre d’affaires, montrent à quel point le Vision Pro représente une faible fraction des revenus globaux d’Apple.

Cela souligne que, bien que prometteur, le Vision Pro reste pour l’instant de niche.

Figure 2 : Apple Vision Pro

Pour l’instant, malgré ces efforts, l’adoption massive se fait attendre, comme le montrent les résultats de Meta. Voici les chiffres clés pour sa division Reality Labs, dédiée à la réalité augmentée et virtuelle, au deuxième trimestre 2024 :

  • Perte d’exploitation de Reality Labs : 4,48 milliards de dollars au deuxième trimestre 2024, contre 3,74 milliards de dollars à la même période en 2023, soit une augmentation des pertes d’une année sur l’autre
  • Part de la perte d’exploitation par rapport au chiffre d’affaires total de Meta : environ 2,8 % du chiffre d’affaires total de Meta en 2023, qui s’élevait à 134 milliards de dollars

Malgré ces pertes, Meta poursuit ses investissements dans la réalité augmentée et virtuelle, misant sur le potentiel à long terme de ces technologies. Ce pari s’appuie sur des projections de marché qui anticipent une adoption croissante du métavers dans les années à venir.

Prévisions du marché

En effet, Statista Market Insights estime que le marché du métavers pourrait atteindre entre 1,9 et 4,4 trillions de dollars d’ici 2030, en fonction de différents scénarios de croissance (conservateur, modéré, optimiste). Ce marché couvre des applications variées, allant de l’éducation immersive et des espaces de socialisation virtuelle à l’eCommerce et à la collaboration professionnelle.

Cette tendance haussière pourrait indiquer que bien que l’adoption actuelle soit lente, le potentiel à long terme reste significatif.

Figure 3 : Statista Market Insights (dernière mise à jour : mars 2024)

Rappelons que Gartner classe le métavers parmi les « technologies émergentes« , ce qui signifie qu’il bénéficie d’une forte attention médiatique et d’un engouement initial important, typique des premières phases de développement technologique. Néanmoins, comme pour toute innovation de ce type, l’intérêt a tendance à diminuer à mesure que les limites et les défis apparaissent, avant de se stabiliser à un niveau qui reflète la valeur ajoutée concrète que le métavers est capable de fournir. En d’autres termes, l’adoption à long terme dépendra de la capacité du métavers à démontrer des avantages réels et tangibles pour les utilisateurs.

En effet, les consommateurs ne se sont pas encore familiarisés avec cette nouvelle expérience virtuelle et n’en perçoivent pas toujours les bénéfices concrets.

Le Métavers : un atout pour la formation et le travail à distance

Malgré ces défis, le métavers continue de trouver des applications concrètes, notamment dans des domaines tels que la formation et le travail à distance, où son potentiel se révèle particulièrement prometteur. Il permet d’introduire des expériences interactives et des simulations qui peuvent rendre les sessions de formation plus dynamiques.

De plus en plus de startups développent des solutions de ce type, dont Uptale, qui collabore avec des entreprises comme la SNCF pour des formations variées, allant de la gestion des relations client, en enseignant aux employés comment réagir face aux voyageurs, à des formations sur la maintenance et la gestion des risques, afin de les préparer aux situations qu’ils peuvent rencontrer sur le terrain. Sanofi utilise également leurs solutions pour des visites d’usine. Cela montre la flexibilité de la réalité virtuelle dans différents contextes de formation en entreprise.

D’autres startups se spécialisent dans des solutions de formation immersive comme COME IN-VR ou SkyReal. Cette dernière intervient d’ailleurs dans le domaine de l’industrie 4.0, où leurs technologies permettent de digitaliser les processus de conception.

Dans l’industrie 4.0, SkyReal permet de concevoir des modèles virtuels, ce qui diminue le besoin de prototypes physiques et réduit les risques d’erreurs. Ces technologies permettent également d’anticiper les problèmes de production, de simuler des conditions réelles, et d’améliorer la sécurité des opérations.

De plus, le caractère virtuel de ces technologies offre une disponibilité permanente du matériel, permettant aux employés de s’entraîner ou d’effectuer des tâches de maintenance à tout moment et depuis n’importe où. Par exemple, dans le secteur aéronautique, un technicien peut s’entrainer à réaliser des opérations de maintenance sur un avion virtuel sans se rendre physiquement sur le site.

Ces approches ouvrent de nouvelles perspectives, notamment pour les professionnels opérant sur le terrain. Par exemple, des métiers souvent considérés comme peu compatibles avec le télétravail, tels que les techniciens ou les ouvriers industriels, peuvent désormais accéder à des environnements immersifs pour se former ou réaliser certaines tâches à distance.

Figure 4 : SkyReal

Cela montre que le métavers ouvre des perspectives inédites, même pour des métiers habituellement ancrés dans des lieux physiques. Dans cette dynamique, des entreprises de grande envergure comme Microsoft investissent également dans ces technologies immersives.

Par exemple, Microsoft Mesh permet des interactions holographiques en temps réel grâce aux HoloLens. Cette solution s’intègre déjà à des outils courants comme Microsoft Teams, facilitant son adoption dans les environnements professionnels.

Figure 5 : Microsoft HoloLens

Intégration de l’IA

L’intelligence artificielle (IA) s’intègre également dans ces technologies immersives en optimisant les processus, par exemple dans la modélisation d’usines pour anticiper les problèmes et réduire les risques. L’IA rend aussi le métavers plus réaliste et personnalisable. Par exemple, le Builder Bot de Meta, lancé en 2022, facilite la création de mondes 3D avec des commandes vocales, améliorant ainsi l’immersion. De plus, l’IA personnalise les interactions avec des avatars qui réagissent aux utilisateurs, et propose des outils comme la traduction instantanée, rendant le métavers plus accessible, indépendamment des barrières linguistiques ou des handicaps.

Figure 6 : Builder Bot de Meta

Gamification et Digital Learning

Alors que l’intelligence artificielle enrichit les technologies immersives en rendant le métavers plus réaliste et accessible, la gamification trouve également sa place dans le monde professionnel pour offrir des expériences plus interactives et engageantes. Dans notre radar des startups du Digital Workplace, nous avons identifié des entreprises comme The Wokies et Civitime, qui utilisent des escape games pour renforcer la cohésion d’équipe et améliorer l’onboarding. D’autres acteurs, comme Volkswagen, exploitent la réalité virtuelle et la gamification dans leurs programmes de formation, permettant des apprentissages plus immersifs et efficaces.

Le métavers contribue à la gamification de l’expérience professionnelle, rendant les formations et le travail plus ludiques et facilitant ainsi une meilleure adoption et un apprentissage amélioré. Par exemple, certaines entreprises, comme Walmart, illustrent bien l’impact de la VR sur l’apprentissage. Grâce à des sessions de formation en réalité virtuelle, Walmart parvient à condenser des contenus habituellement dispensés en 90 minutes en seulement 20 minutes. Cette approche ne se contente pas d’accélérer le processus d’apprentissage ; elle améliore également la rétention des connaissances, avec une augmentation de 10 à 15 % par rapport aux méthodes traditionnelles. Ce type d’innovation montre à quel point le métavers peut transformer les pratiques de formation en entreprise, offrant des expériences plus engageantes et efficaces.

Ces technologies soulèvent une question intéressante : pourquoi ne pas aller plus loin et remplacer nos écrans multiples et nos équipements numériques par un seul casque VR qui offrirait un espace de travail immersif et personnalisable ? Imaginez un bureau virtuel où vos différents écrans sont remplacés par des fenêtres flottantes que vous pouvez disposer à votre guise. Vous pourriez passer d’une réunion en face-à-face avec des collègues virtuels à la manipulation de documents 3D, tout en basculant instantanément entre des espaces de travail configurés selon vos besoins.

Figure 7 : Quest Pro – VR headset by Meta

Ce concept d’employé augmenté devient de plus en plus pertinent à mesure que ces technologies évoluent. En effet, l’idée d’un espace de travail immersif et sur mesure pourrait être l’usage du métavers que les collaborateurs adopteront le plus facilement, puisqu’il simplifie et enrichit leur quotidien professionnel. L’adoption de ces technologies pourrait donc marquer une étape de transition dans la transformation des espaces de travail et dans l’évolution vers une collaboration plus immersive.

Conclusion

Le métavers semble donc ouvrir de nouvelles perspectives pour le monde professionnel. Si certaines applications, comme la formation immersive ou l’onboarding en entreprise, montrent un potentiel concret, le déploiement du métavers au quotidien reste encore loin des ambitions initiales de Meta en 2021. Aujourd’hui, au lieu de cette adoption généralisée, on observe une utilisation plus sélective et ciblée.

Plutôt que d’intégrer le métavers pour suivre une tendance, les entreprises se concentrent sur des usages réfléchis qui apportent une véritable valeur ajoutée. Parmi ces usages, le concept d’« employé augmenté » prend tout son sens, avec un espace de travail immersif et modulable qui simplifie et enrichit l’expérience professionnelle quotidienne. Ce type d’usage pratique et adaptable pourrait favoriser une adoption progressive, car il répond aux besoins concrets des collaborateurs en facilitant la productivité, l’engagement, et la collaboration.

De même, la formation est un domaine en pleine transformation grâce aux technologies de réalité augmentée (AR) et de réalité virtuelle (VR), souvent renforcées par l’intelligence artificielle pour des expériences d’apprentissage encore plus immersives et personnalisées. Ces outils favorisent un apprentissage plus rapide et efficace en simulant des situations complexes, tout en réduisant les risques associés à certaines formations pratiques.

Ainsi, bien qu’en constante évolution, le métavers continuera probablement d’influencer les pratiques professionnelles, mais dans un cadre précis, axé sur des bénéfices tangibles.

 

Bibliographie 

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