Quand Tesla annonce une flotte de robot-taxi pour 2020, PSA arrête le développement de véhicules autonomes. Lorsque Waymo lance une flotte de véhicules autonomes sans supervision à Phoenix (USA), Daimler annonce réduire la voilure sur la voiture autonome. L’industrie automobile s’est transformée en partie de poker menteur depuis que la conduite autonome est au cœur des sujets : entre effets d’annonces et réelles avancées, difficile d’y voir clair. La matinée Self Driving Car, organisée le 19 novembre 2019 par L’Usine Digitale, avait pour but de faire un état des lieux du véhicule autonome. Retour sur les enseignements à tirer de cette matinée qui aura rassemblé des professionnels de tous horizons dans le domaine.
La collaboration entre les acteurs, un besoin vital pour le succès du véhicule autonome
« Un esprit de coopétition et de stratégie produit s’est mis en place autour du véhicule autonome » explique Mathieu Sabarly (Wavestone), venu présenter l’étude du cabinet « Comment va percer le véhicule autonome ? ». Anne-Marie Idrac, Haute Responsable pour la Stratégie Nationale de Développement des Véhicules Autonomes, partage ce constat. Mme Idrac a rappelé la mise en place d’un véritable travail inter-filière en France, entre acteurs privés et publics, pour définir les contours d’une réglementation ne freinant pas l’innovation tout en répondant aux enjeux de notre société.
Premier objectif, la mise en place d’expérimentations chargées d’effectuer des kilomètres de roulage qualifiés, afin de collecter des données capitales au développement de la technologie. Un travail est également mené sur le cadre juridique, de manière à proposer des textes de lois adaptés à tous les cas d’usages du véhicule autonome, y compris sans supervision humaine. Un sujet sensible qui se doit d’être traité de manière multilatérale pour éviter toute fragmentation du marché. Des démarches internationales ont d’ailleurs été engagées dans ce sens au sein des Nations Unies.
Les politiques locales sont également intégrées dans l’équation : les multiples cas d’usages du véhicule autonome, tels que les robots-taxis et les navettes autonomes sont par exemple amenés à redéfinir les transports dans les territoires. Des groupes de travail sont donc mis en place sous l’impulsion de la Haute Responsable au développement des véhicules autonomes en France, pour permettre aux territoires, Ministères, constructeurs, équipementiers, acteurs de la mobilité, du numérique et même philosophes, de dialoguer et capitaliser collectivement sur la vision de chacun du véhicule autonome et de son développement.
Un domaine pas encore mature, sujet à débats
De nombreux sujets restent effectivement en suspens dans l’industrie, car la technologie ne bénéficie pas encore de la maturité requise à une commercialisation massive. Mathieu Sabarly (Wavestone) a présenté les statistiques de 2018 issues du Department of Motor Vehicle of California, qui synthétise le nombre de désactivation des systèmes autonomes par kilomètres parcourus (= kilomètres avant désengagement du système). Si Waymo, qui a annoncé lancer des véhicules autonomes sans superviseurs à Phoenix (Etats-Unis), semble en avance avec plus de 17.000 kilomètres parcourus par désengagement, la majorité des acteurs rapportent des kilométrages bien inférieurs à ceux-ci. En témoignent les véhicules de Tesla, souvent montrés comme des précurseurs du domaine avec le système Autopilot, et qui nécessitent une intervention humaine tous les 5 kilomètres en moyenne.
Le niveau 4 de conduite autonome, correspondant au pilotage autonome dans des conditions spécifiques (géographiques, météorologiques, etc…), est donc le premier niveau d’autonomie avancée qui semble logiquement atteignable dans les années à venir. Les robots-taxis, du fait de leurs trajets en milieux péri-urbains permettant maîtrise de l’environnement et de la vitesse, devraient d’ailleurs être ceux qui démocratiseront le véhicule autonome selon Mathieu Sabarly (Wavestone). Emilie Wirbel (Valeo) a d’ailleurs fait la démonstration de l’avancement de la conduite autonome en milieu urbain à travers des vidéos d’expérimentation du système Valeo Drive4U en plein Paris, alors que Pascal Lecuyot (Navya) a annoncé le déploiement de nouvelles navettes autonomes, notamment autour du Groupama Stadium de Lyon.
Néanmoins, la trajectoire à suivre pour obtenir des systèmes de niveau 4 commercialisables entraîne des désaccords au sein de l’industrie. En cause notamment, la connectivité des véhicules. « En Europe, le choix n’a pas été tranché entre la 5G et le WiFi (ITS-G5) » a d’ailleurs rappelé Anne-Marie Idrac. Cela n’a néanmoins pas empêché PSA et Vinci Autoroutes d’expérimenter autour de la technologie WiFi/ITS-G5 afin de pouvoir informer les véhicules autonomes sur les différents travaux en cours sur la voie rapide, mais aussi assister au franchissement de péages. D’autres pistes de développement à travers des capteurs ou caméras débarquées sont également envisagées.
De son côté, Franck Cazeneuve (Bosch) estime qu’un véhicule autonome ne doit pas nécessiter de connectivité pour fonctionner, et doit exclusivement se reposer sur ses propres capteurs et calculateurs. Vincent Abadie (PSA) oppose à cette contradiction la notion de chronologie : si les véhicules autonomes doivent à terme se reposer exclusivement sur leur propres capacités, les capacités débarquées peuvent permettre de fournir un service de niveau 4 bien plus rapidement. Un sujet reste en suspens néanmoins : le financement des infrastructures de connectivité des véhicules autonomes, qui pourrait freiner leur adoption.
Des technologies clés pour soutenir le véhicule autonome
Le développement de la conduite autonome nécessite des systèmes complexes capables de traiter n’importe quelle situation complexe. Emilie Wirbel de Valeo, qui fournit déjà les constructeurs en capteurs en tous genres pour les aides à la conduite et la conduite autonome (LIDAR, caméras, etc…), a mis en avant l’aspect vital du deep learning dans cette quête de l’autonomie complète.
Si le domaine existe depuis les années 1960, les évolutions technologiques ont permis son explosion depuis les années 2010. Aujourd’hui, le deep learning est utilisé pour « apprendre » aux systèmes de conduite autonome à se comporter de manière adéquate à chaque situation. L’apprentissage par imitation, par exemple, consiste à faire emmagasiner les réactions d’un conducteur humain dans une multitude de situations, afin de reproduire des comportements similaires si le système est confronté à une situation s’en rapprochant. L’apprentissage par renforcement, consiste de son côté à simuler une multitude de situations, et à récompenser l’intelligence artificielle selon les conséquences de son choix effectué. L’intelligence artificielle éliminera ses mauvais comportements en visant à reproduire un comportement qui résultera sur une récompense. Le deep learning est omniprésent dans le développement des véhicules autonomes, mais de nombreux sujets restent à traiter, comme la certification des réseaux de neurones.
Autre technologie capitale pour le véhicule autonome : la cartographie. Vincent Martinier a ainsi présenté les cartographies haute définition de TomTom, permettant une précision au décimètre près, de même que de nombreuses informations enrichies permettant d’améliorer la fiabilité du comportement du véhicule : courbure des virages, inclinaison des routes, etc… La donnée est effectivement un enjeu majeur dans le domaine : elle permet de fiabiliser, enrichir les trajets autonomes et l’expérience à bord côté automobile, mais aussi améliorer les infrastructures et les politiques de transport côté territoires. Les plateformes d’échanges de données (Data Exchange) telles que celles de Dawex, présenté par Laurent Lafaye, vont monter en puissance face à cette réalité.
Une inconnue majeure : l’acceptation par le grand public
Toutes ces données liées à l’exploitation des véhicules autonomes sont toutefois porteuses d’inquiétudes pour le grand public, et Anne-Marie Idrac en fait un axe important de ses travaux, mettant en avant la crainte de « perte de libertés » liée aux véhicules autonomes et à l’exploitation de leurs données. Malgré toutes les volontés des constructeurs et des acteurs impliqués, l’utilisateur sera le seul juge final, et la bataille est loin d’être gagnée. Mathieu Sabarly (Wavestone) se fait le relais d’une étude américaine de l’American Automobile Association (Mars 2019), remontant que 71% des américains ont peur de monter dans un véhicule autonome. Le succès ou l’échec de la flotte de véhicules sans superviseur de Waymo pourrait d’ailleurs être déterminant dans l’acceptation de cette technologie, dont l’image a été ternie par l’accident mortel de Uber.
Les acteurs du domaine sont d’ailleurs tous conscients de l’intérêt de gagner la confiance des futurs utilisateurs. Emilie Wirbel (Valeo) évoque l’apprentissage par imitation des systèmes autonomes comme un facteur d’acceptation positif, du fait de l’aspect naturel du comportement du véhicule, basé sur celui d’un humain, qu’induit ce type de méthode. Vincent Martinier (TomTom), lui, met en avant le fait de pouvoir illustrer, grâce à une cartographie précise, le comportement à venir du véhicule avant exécution, comme une manière de rassurer les utilisateurs.
Mathieu Sabarly (Wavestone) généralise la problématique : placer l’humain au centre des considérations sera décisif pour le développement du véhicule autonome. Celui-ci doit être construit autour et avec l’humain plutôt que comme un outil annexe à l’homme. Il met d’ailleurs en avant la force de la France dans ce domaine avec des acteurs d’importance côté constructeur, côté UX et côté robotique. Cela s’illustre notamment par le concept Symbioz en partenariat entre Renault et Ubisoft, qui vise à redéfinir l’expérience à bord d’un véhicule autonome. Le succès de Valeo dans l’analyse des réactions des passagers via une caméra à bord en est une autre preuve, alors que d’autres acteurs tels que Tesla n’arrivent à l’exploiter à ce jour.
Les expérimentations et les avancées technologiques se multiplient donc dans le domaine de la conduite autonome, mais les obstacles restent nombreux. La France est en tout cas proactive dans le domaine, et souhaite en être un acteur majeur. Néanmoins, en face de la France et de l’Europe se dressent des acteurs favorisant une approche disruptive à une approche incrémentale, quitte à prendre le risque de griller les étapes. Franck Cazeneuve (Bosch) résume finalement l’enjeu principal : « Nous aurons certainement que 4 systèmes de conduite autonome dans le monde. L’un sera Américain, un autre sera Chinois. Il reste deux places, l’objectif est que l’une de ces deux places reviennent à un acteur européen. »