Les nombreux changements qui ont bouleversé le monde des médias ces dernières années ont très largement impacté les acteurs du secteur. À tel point que ce domaine, pourtant centenaire, connait à l’heure actuelle une mutation systémique qui fait trembler les professionnels du monde des médias.
Le journaliste est le créateur, la source et le conteur des informations et actualités qui nous parviennent. En ces temps agités, c’est donc logiquement lui qui est le plus impacté par les mutations touchant les médias, mais c’est aussi et surtout lui qui paie le plus lourd tribut de la « nouvelle donne ». Avec l’avènement de la société de l’information depuis plusieurs décennies et l’accélération de l’impératif de temps réel ces dernières années, le métier de journaliste se trouve totalement bouleversé par les évolutions récentes : que ce soit sa façon de rapporter l’information, celle de la diffuser ou même celle de la récupérer, le journaliste doit aujourd’hui s’adapter et évoluer afin de répondre aux attentes de ce qui pourrait être qualifié de néo-journalisme.
Une nouvelle donne
Jeudi 18 octobre 2012. Nouveau jeudi noir. Un crack venu des États-Unis secoue la planète média. Newsweek, le magazine phare de l’hégémonie américaine annonce la disparition de sa version papier. Quelques jours avant ses 80 ans, le journal n’est en effet plus rentable et doit drastiquement réduire ses coûts pour survivre. Le passage au numérique, espère S. Harman, propriétaire du magazine depuis 2010, lui permettra de « sauver ce qui peut être sauvé ».
Newsweek n’est qu’un exemple parmi tant d’autres journaux qui s’effondrent : France Soir, Paru Vendu, La Tribune ont tous connu des sorts funestes en France. Ces cataclysmes à peine envisageables il y a une dizaine d’année (Newsweek était alors le 2ème magazine en termes de popularité aux États-Unis et était diffusé à hauteur de 7 millions d’exemplaires à travers le monde) ne sont que la conséquence d’une longue chaîne de causes à effets: baisse constante du chiffre d’affaires, exode de la publicité, concurrence accrue, diminution des ventes, augmentation des coûts fixes, culture du tout-gratuit, disparition de journaux… La quasi-totalité des indicateurs témoignant de la santé de la presse sont dans le rouge.
À contrario, nous assistons, notamment grâce au développement de l’accès à de nouvelles plateformes de communication à une demande de plus en plus forte d’informations et surtout d’instantanéité. Les chaînes d’information en continue se portent à merveille (BFM TV voit sa part d’audience augmenter continuellement depuis 4 ans), les journaux gratuits s’arrachent à la sortie des bouches de métro, les sites d’informations agrégées et donc rapides à ingérer multiplient leurs audimats (presque un tiers de la fréquentation de l’information sur Internet se fait via Google Actualités), les fils Twitter des journaux font rêver leurs rédactions (Le Monde est par exemple suivi par 1,3 millions de personnes sur le réseau social, soit 4 fois plus que sa diffusion papier !) et les blogs et autres communautés d’informations se développent à très grande vitesse sur le web.
Ces deux mouvements a priori antagonistes soulignent la même tendance : le temps où l’information était le monopole des grands journaux est révolu. Ceci s’explique par :
- La culture du « tout-gratuit » initiée par internet qui ne s’accorde pas avec l’achat journalier de papiers d’information ;
- La fuite de la publicité vers Internet qui remet en cause le business model de la presse classique ;
- Par une évolution de la société et par un désir accru des lecteurs de faire l’information, autrement dit le désir d’avoir des journaux qui prennent en compte leurs attentes et qui ne fonctionnent plus sur un mode de transmission unilatéral ;
- Ceci s’explique enfin par un besoin de surinformation constant alimenté par le développement des différents canaux de transmission des nouvelles qui poussent les informés à toujours en vouloir plus, partout , tout le temps et quasiment en temps réel.
Ces évolutions de l’écosystème ne sont pas sans impact sur le métier même du journaliste.
La fin du conte
« Le journaliste est une pensée en marche comme le soldat en guerre » écrivait Honoré de Balzac en 1835 dans la Fille aux yeux d’or. Cette citation reflète l’image qu’a longtemps eue le public du journaliste : celle d’un guerrier romanesque en lutte permanente, avec pour seules armes sa plume aiguisée et son sens inné de la grandiloquence littéraire. Mais aujourd’hui, cette image n’est plus. Les icônes qu’étaient Albert Londres ou Bob Woodward ont été brûlées sur l’autel de l’attractivité pour être remplacées par le bandeau de BFM TV et un fil Twitter.
Se faisant, toute notion de conteur tend à disparaître. Les longs articles de Libération ne font en effet plus recette ; A contrario, l’information instantanée, qui a fait tout le succès des chaînes d’information continue, se généralise. Un journaliste passé par BFM raconte comment ce désir du public se traduit dans le quotidien du journaliste : « J’ai effectué il y a quelques années un stage dans le service qui s’occupe de rédiger ce fameux bandeau qui défile en continue en bas de l’écran sur BFM TV. Les conditions de travail sont symptomatiques des changements qui touchent le journalisme : dans un petit local, 4 stagiaires se relaient nuit et jour pour scruter des flux RSS d’informations sur des écrans ; Dès qu’une info tombe, l’aspirant journaliste doit immédiatement la résumer en une phrase et la faire diffuser à l’écran. L’objectif étant de minimiser le laps de temps entre le moment où l’information tombe et l’instant où elle est relayée à l’audience ».
Devant ces constats alarmants, la presse prend conscience depuis quelques années qu’il lui est désormais impossible de continuer à vivre sur le modèle qui lui a servi de base depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Comment dès lors peut-elle se réinventer et repenser jusqu’au métier même de journaliste? Quels sont les chemins de traverse expérimenté pour se maintenir dans le paysage médiatique ? Une des réponses qui a été apportée à ces questions tient en un mot : le néo-journalisme.