Le phénomène de transition numérique accélère la transformation des organisations, modifie durablement l’interaction marques / clients et bouleverse les processus en interne… Aucun secteur d’activité n’y échappe : aéronautique, cosmétique, pharmacie, énergie… Tous doivent réadapter leurs offres et modes de fonctionnement.
Avec la conviction de cette nécessaire adaptation au numérique, les grandes entreprises ont fait naître depuis un peu plus de 2 ans une fonction spécifique : le Chief Digital Officer (CDO).
Mais qui est le CDO ? Que fait-il ? Quel est l’avenir du métier ?
Chez Digital Corner, nous nous sommes amusés à imaginer « l’interview fictive » d’un CDO en 10 questions… en voici les réponses :
Bonjour Chief Digital Officer, pourriez-vous nous parler de votre fonction et de sa finalité ?
CDO : « Mon métier, Chief Digital Officer, ou CDO, consiste à accompagner une entité privée (entreprise principalement) ou publique dans le pilotage et l’accélération de sa transformation numérique.
Mon métier revêt une dimension stratégique importante puisque je suis responsable de la politique digitale et de la supervision des opérations numériques à évolution rapide (applications mobiles, médias sociaux, etc.).
En d’autres termes, je dois faire passer la transformation numérique de mon entité à la vitesse supérieure : lui permettre d’intégrer chaque nouvelle donne numérique et d’agir instantanément et efficacement en conséquence.
En bon chef d’orchestre, je me dois de coordonner les actions des différentes parties prenantes de mon entreprise pour y parvenir. »
Pourriez-vous nous illustrer votre mission et cet aspect de coordination interservices de façon plus concrète ?
CDO : « En prenant mon poste, j’ai d’abord fait un état des lieux pour identifier les projets déjà lancés, pour comprendre les besoins et identifier les personnes impliquées.
Puis, j’ai défini quelles seront les priorités numériques, celles qui guideront la stratégie à venir. Mais impossible d’aboutir à une réelle rationalisation et à une organisation efficace de la transformation sans un partenariat avec les seniors managers des autres fonctions : CIO (Informatique), CMO (Marketing), COO (Opérations) et CHRO (Ressources Humaines). Je peux citer différents objectifs communs :
- Amélioration de la connaissance et de l’expérience client : Le CDO doit fournir de la visibilité sur les tendances du marché pour alimenter les équipes en charge de concevoir et d’exécuter une stratégie marketing sur les réseaux sociaux. Il doit aussi permettre de connaître les influenceurs de ces clients afin de pouvoir les mobiliser par la suite.
- Diffuser et faire adopter la culture numérique dans toute l’entreprise ce qui ne peut se faire qu’en collaboration rapprochée avec la DRH. On le voit bien, la transformation digitale impacte le recrutement, les carrières, le travail et la formation. D’ailleurs, je travaille actuellement en étroite collaboration avec la DRH autour du Digital Learning. Il faut savoir que l’avènement du digital a conduit à de vraies révolutions, et modifie fortement l’acquisition du savoir : MOOCs, COOCs, m-learning, réseaux sociaux d’entreprise, réalité augmentée, serious games,… sont aujourd’hui autant de dispositifs et d’outils que nous explorons avec nos collègues de la formation.
- Structuration d’un système d’information agile, en collaboration avec la Direction des Systèmes d’Information. Les données sont par exemple l’un des sujets fondamentaux auquel le CDO doit accorder son attention. »
Quelle est la différence entre Chief Digital Officer et le Chief Data Officer ?
CDO : « Le Chief Data Officier est garant de la qualité et de l’exploitabilité des données. Il est à la tête d’équipes de statisticiens ou de data scientists qui assurent le traitement et l’analyse des données pour répondre de manière transverse aux objectifs fixés par l’entreprise. Il prend aussi en charge toute la composante protection des données personnelles et conformité.
Aujourd’hui, 20% des grandes entreprises sont dotées d’un tel poste, elles seront 25% à horizon 2017 (Source Gartner 2014).
Le Chief Digital Officer travaille lui, à la valorisation des données : il fait en sorte qu’elles soient captées, sélectionnées, partagées avec les bons services et utilisées à bon escient pour servir la stratégie de l’entreprise.
Toutefois, selon les organisations, la frontière peut- être poreuse. En l’absence d’un Chief Data Officer désigné, son rôle peut être joué par le Chief Digital Officer. »
Quel est votre rattachement hiérarchique, êtes-vous directement lié au top management de votre entreprise ?
CDO : « Il faut savoir que fonction de CDO ne s’officialise en apparaissant dans les organigrammes que depuis peu.
Personnellement, j’ai été directement nommé par le PDG et je siège au conseil d’administration de l’entreprise. Mais il n’y a pas d’organisation universelle et plusieurs de mes pairs au sein d’autres entités dépendent eux d’une direction précise (DRH ou Direction de l’Innovation par exemple).
- À la BPCE, la transformation digitale est portée par un CDO issu du business et rattaché à la Direction de l’Innovation Groupe.
- À la BNP, l’impact du numérique sur la relation client a entraîné des modifications profondes des métiers de front et back office ; c’est au sein de la Direction des Ressources Humaines Groupe que siège le CDO Groupe, issu de la DSI.
- Chez AXA France, le CDO est intégré à la Direction Marketing et issu de l’univers des données.
L’un et l’autre des rattachements comportent des avantages et des inconvénients : par exemple, avoir un rattachement direct à la Direction Générale et siéger au COMEX, peut prouver l’appui de la direction, appui indispensable pour mobiliser les étages intermédiaires de la pyramide managériale de l’entreprise. »
Vous avez parlé de vos pairs, avez-vous des contacts récurrents avec eux ?
CDO : « Comme je vous le disais, la fonction de CDO est relativement jeune et encore en mutation, ce qui fait que les responsabilités du CDO varient d’une entreprise à l’autre. Nous n’avons donc pas tous le même périmètre d’actions, ni le même rattachement hiérarchique.
Il n’en reste pas moins qu’il est très intéressant de nous rencontrer autant que possible car c’est un nouveau territoire pour tous, ce qui nous donne l’opportunité de réinventer notre métier au quotidien.
Pas question pour nous d’imposer l’agilité, l’essai-erreur ou d’autres méthodes, nous visons une acculturation aux outils et aux méthodes.
Pour ma part je croise quelques uns de mes collègues français :
- Antonia McCahon, Digital Acceleration Director chez Pernod Ricard
- Lubomira Rochet, CDO de L’Oréal depuis 2014
- Michael Aidan, CDO de Danone depuis bientôt 2 ans
- Christian Buchel, CDO d’ERDF depuis mai 2014
- Antoine Denoix, CDO de Axa France »
Y a-t-il un profil type pour devenir Chief Digital Officer ?
CDO : « En termes de savoir-faire, il faut avouer que la grande majorité des CDO aujourd’hui en poste ont été sélectionné pour leur expertise numérique. Par exemple :
- Au sein du groupe ACCOR, Vivek Badrinath, le patron du numérique recruté début 2014 porte aussi le marketing, la distribution et les systèmes d’information du Groupe et de ses marques.
- Patrick Hoffstetter, ancien directeur marketing chez SFR puis de la division produit chez Yahoo! France est aujourd’hui CDO chez Renault.
Mais certains sont « seulement » des managers expérimentés, au parcours plus traditionnel, plus ancré dans le métier de leur entreprise :
- Tanguy Favennec lui, a effectué l’ensemble de sa carrière chez Air France KLM dont il est depuis 2012 responsable du développement e-commerce. »
Faut-il avoir fréquenté un établissement en particulier lors de ces études pour devenir Chief Digital Officer ?
CDO : « Une étude intéressante a été publiée sur les formations des Chief Digital Officer en poste en se basant sur leur profil Linkedin. Elle montre qu’effectivement les CDO ont souvent suivis des études de haut niveau (plus d’un sur cinq a un MBA). Les établissements les plus prestigieux, grandes écoles françaises de commerce ou d’ingénieur apparaissent sur leurs CV (Sciences Po, HEC, Insead, Centrale…) et certains en alignent plusieurs.
Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, il en ressort que nous ne sommes pas tous de jeunes trentenaires, digital natives, issus de la communication ou du marketing.
D’ailleurs, à mon avis, ce qu’il faut surtout pour occuper ce poste c’est être entrepreneur dans l’âme, avoir une capacité de leadership, une vision, une personnalité.
Avec d’autre CDO, nous partageons certains points communs : une formation à l’international, l’envie de parcourir le monde à l’affût d’innovations, le désir de sortir de l’entreprise pour collaborer avec des agences digitales, des écoles, des start-ups, des incubateurs… »
Au-delà de vos savoir-faire quels sont les moyens mis à votre disposition ?
CDO : « Les moyens mis à disposition qui me semblent importants à citer sont humains.
Quel que soit l’organigramme mis en place dans les différentes entreprises dont j’ai connaissance, le CDO est en général un manager à la tête d’une équipe réduite. Cette petite équipe, c’est la start-up du CDO. Ses membres sont des spécialistes du numérique, agiles, capables de s’adapter, ils pratiquent l’essai-erreur, le mode projet… et s’appuient sur des relais dans chacun des métiers de l’entreprise.
Vous l’aurez compris, c’est aussi parmi les prérogatives du CDO et donc de son équipe, de créer des passerelles fortes entre les métiers. »
Quelles évolutions pour ce poste ?
CDO : « La particularité de cette fonction est qu’elle est par essence temporaire : le CDO, en tant qu’agent du changement dans l’organisation, travaille finalement à sa propre disparition. Si l’entreprise accomplit avec succès sa mutation numérique, sa fonction sera caduque.
Cependant pourrons-nous affirmer un jour que la transformation digitale est terminée ? Je n’en suis pas certain, en tout cas probablement pas avant de longues années car le monde du digital est le monde de l’innovation numérique au sens large. Il y a donc des évolutions à intégrer en permanence. »
Avec de telles responsabilités et contacts en interne, le CDO d’aujourd’hui peut-il être le PDG de demain ?
CDO : « La réponse à cette question n’est pas évidente. Les possibilités restent aussi variées que les profils de ces professionnels.
Les plus experts dans leur domaine, les champions du digital, qui ont un parcours exclusivement dans le numérique et un goût prononcé pour celui-ci plafonneront sûrement une fois la transformation de l’entreprise achevée. Ils pourront alors « se reconvertir » vers l’une ou l’autre des fonctions qu’ils côtoyaient : marketing, innovation, …
Ceux par contre qui ont déjà prouvé leur compétence managériale à travers un parcours généraliste, sont de probables futurs PDG oui.
Toutefois, pour le moment, « les Chief Digital Officer ne sont pas inclus dans les plans de succession des organisations », disait Romain Eyherabide, chasseur de tête pour les sociétés françaises. »
Merci CDO !
Finalement, le Chief Digital Officer accompagne les entreprises sur l’aspect stratégique d’intégration du digital, et aussi sur les aspects organisationnels et opérationnels autour des nouvelles technologies. C’est à la fois un métier d’avenir, parce que l’ère du digitale ne fait que commencer, et un métier très ancré dans le présent, puisque quasiment toutes les entreprises doivent appréhender le digital dès aujourd’hui.