Comme on a pu le voir dans la première partie de cet article, un téléphone modulaire présente de nombreux avantages pour les utilisateurs. On pense notamment aux possibilités de personnalisation à l’extrême, à l’interchangeabilité à chaud des modules selon les conditions ou bien encore à la fin de l’obsolescence programmée inhérente à ce type de matériel. Tous les atouts affichés ne devraient pas laisser insensible si le projet se concrétise. Bien qu’on puisse aisément imaginer l’existence d’un marché pour ce produit, la commercialisation devra être savamment étudiée afin d’être en mesure de concurrencer les constructeurs historiques de smartphones qui ont déjà su fidéliser leur clientèle. Il sera également important de proposer un modèle économique pérenne. Etant donné la révolution technologique nécessaire pour un tel objet, ce sont plutôt la performance et la fiabilité et même tout simplement la faisabilité qui sont sujettes à question.
Le pas est-il trop grand pour le projet Ara ?
Un saut technologique…
Tout d’abord, bien que des prototypes aient déjà été présentés au grand public, un tel saut technologique n’est pas des plus simples à réaliser. Un changement « à chaud » de module par exemple (un des arguments forts du projet) n’est pas possible sur une version standard d’Android. Les ingénieurs de Google planchent ainsi actuellement sur une version modifiée d’Android L. Outre cet aspect de changement « à chaud », pour permettre à l’OS de gérer des modules divers et variés sans problème, un travail d’ingénierie non négligeable est à prévoir. Pour anticiper le lancement commercial du projet Ara, une trousse pour développeurs de modules (MDK : Module Developer’s Kit) a donc été mise à disposition dès avril 2014. Ce MDK comprend toute la documentation nécessaire à la conception de briques compatibles Ara et a depuis évolué pour offrir plus de fonctionnalités. Google le sait : l’avenir des téléphones Ara dépend en grande partie de l’implication des concepteurs tiers. Pour les séduire, il faudra que le projet réduise à son minimum les limitations techniques afin de permettre de proposer des modules innovants, capable d’entretenir l’intérêt des consommateurs.
Outre cette partie software, la production est également sujette à de nombreuses remises en question de la part des responsables du projet. Un temps envisagée à l’aide d’imprimantes 3D, la production des modules devrait à court terme se faire par des moyens plus classiques. Prévue au départ pour son degré de personnalisation supplémentaire et pour permettre une démocratisation de production pour les partenaires, l’impression 3D n’en reste pas moins jeune et moins fiable. La difficulté du concept d’un téléphone modulaire repose ainsi en partie sur la fiabilité de l’interconnexion des modules. Tout l’enjeu de la conception et de la fabrication des modules sera à la fois d’assurer leur alimentation électrique mais aussi leur capacité à échanger des informations avec les autres composants.
…et un modèle économique à construire
En dehors de ces aspects techniques, se pose également la question du modèle économique d’un tel produit. Effectivement, si un produit n’est jamais obsolète, jamais en panne alors plus personne ne cherchera à renouveler son téléphone. Partant de ce constat, la viabilité du modèle économique passera sûrement par la maîtrise de l’offre de modules en termes de fonctionnalités, d’innovation et de prix.
En termes de prix justement, l’objectif annoncé par le projet est de proposer des endosquelettes et des modules de base à des prix abordables : on parle d’endosquelette aux alentours de 50$ notamment. Cet argument ne sera pas le seul pour attirer les clients potentiels. Pour réussir son pari, Google prévoit la mise en place d’une boutique en ligne (associée au Play Store) pour permettre l’achat des modules. De manière à sécuriser le lancement du téléphone, le projet prévoit également des boutiques mobiles à la manière de « food truck » pour aller à la rencontre des consommateurs. Ceux-ci seront-t-ils au rendez-vous ? Rien n’est moins sûr, si l’on pense au dernier gadget technologique de la firme de Mountain View, les Google Glass, qui suscitent de moins en moins d’intérêt auprès du grand public malgré des débuts prometteurs.
En dépit de tous ces doutes et questions sur la réussite du projet, la firme de de Mountain View croit en son idée. Pour preuve, Google avait conservé les équipes et le projet lors de la revente de Motorola à Lenovo et l’agenda reste chargé :
- Deux conférences ont déjà eu lieu (en avril 2014 et en janvier 2015)
- Plus de 20 partenaires sont déjà mobilisés, notamment sur le thème de la production de modules
- Les responsables ont pour objectif un lancement commercial des premiers téléphones dès 2015
Alors, est-ce un simple gadget technologique dédié aux utilisateurs avertis ou une véritable révolution pour le consommateur grand public? Dans tous les cas, le projet est loin de laisser insensible et Google n’est pas le seul à s’intéresser à la question des téléphones modulaires (Circular Devices avec PuzzlePhone, Vsenn notamment). Dès lors, il va être intéressant de suivre cette course à l’innovation et observer les réactions des acteurs traditionnels du marché des smartphones. Après une présentation au Mobile World Congress de Barcelone, et d’ores et déjà prévu pour un premier lancement à Porto Rico, l’année 2015 devrait nous livrer quelques éléments de réponses sur l’avenir des téléphones Ara.