Le célèbre VPCiste de prêt-à-porter et d’articles de décoration 3 Suisses a annoncé le 3 septembre dernier qu’il abandonnait la vente à distance au profit de la vente en ligne, dont il est actuellement le n°2 français. En devenant « pure player », la marque tourne le dos à quatre-vingts deux ans d’histoire en France. Ce changement de paradigme s’est accompagné il y a quelques mois d’un plan de suppression de 198 postes, soit plus de la moitié des salariés de l’entreprise. Sa holding, le groupe allemand Otto, s’est fortement investie dans le redressement de 3 Suisses, notamment en y injectant 150 millions d’euros.
L’entreprise était en effet au bord du naufrage, avec des pertes atteignant 62 millions d’euros en 2013, pour un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros. Avec son nouveau business model, elle parie sur un retour à un équilibre d’exploitation d’ici 2016.
Un nouveau business model
Le positionnement choisi par le Directeur Général de 3 Suisses, Éric Dubois, un ancien du concurrent La Redoute (groupe Redcats), retourne complètement la stratégie initiale de l’entreprise. En effet, 3 Suisses – qui au passage se débarrasse de son article « Les » – ne vendra plus par le biais d’un catalogue publié deux fois par an, mais exclusivement sur Internet. Des mots-mêmes d’Éric Dubois, l’entreprise, qui vient « d’un business model multi canal et mono média » passe « à un business model mono canal et multi média ». Le site Internet sera en effet accessible dans une forme ergonomique et plus moderne sur ordinateur, tablette et smartphone.
Afin d’être au niveau de la concurrence sur le web, 3 Suisses modifie sa politique de prix ; plutôt que des rabais quasi-systématiques, la marque parie désormais sur des prix plus bas, uniques quelle que soit la taille du vêtement, la livraison à des points de relais offerte dès 49€, et le retour gratuit.
La suppression de l’emblématique catalogue biannuel permet également à la marque d’augmenter son rythme de renouvellement des collections, à l’image des leaders du marché du prêt-à-porter comme Zara ou H&M. Il s’agit là d’une modernisation de l’approche du secteur, s’appuyant sur les atouts apportés par la holding qui détient 3 Suisses, à savoir de nouveaux moyens logistiques en sous-traitance et l’accès à sa centrale d’achat.
Une campagne marketing adaptée pour le nouveau pure player
Pour autant, 3 Suisses ne renie pas ses origines. Le catalogue est ainsi remplacé par un « magalogue », sorte de magazine de mode à parution mensuelle. Contrairement au catalogue, il n’aura pas pour vocation d’être un canal de commande pour les clients. Ceux-ci devront accéder au site Internet et y copier le code correspondant au produit repéré dans le magazine pour effectuer une commande. Si la suppression du catalogue permet à l’entreprise d’économiser vingt millions d’euros par an, le « magalogue » sera néanmoins distribué à trois millions d’exemplaires auprès de la clientèle.
Bien que ce magazine ait pour objectif de ne pas décontenancer les clients fidèles, la transformation en « pure player » nécessite de changer de cible marketing. Avec une moyenne d’âge des clients de quarante-huit ans, il n’était pas certain que ce canal convienne. C’est pourquoi la marque mise désormais sur une identité visuelle renouvelée, plus jeune, associée à une image qualifiée d’ « audacieuse, dynamique, et créative », dans l’objectif de plaire aux 25-45 ans, plus susceptibles d’utiliser Internet pour acheter du prêt-à-porter. Si 3 Suisses conserve ses stylistes et fournisseurs, des partenariats avec des grandes marques ont été signés, comme Diesel ou Adidas. Une campagne de publicité – la première depuis cinq ans – a également été pensée pour les attirer, avec des spots sur TF1 et M6 et sur Internet, en partenariat avec YouTube. Les diffusions s’étaleront de septembre à décembre.
Un choix risqué ?
Aujourd’hui, 80% des commandes passées auprès de 3 Suisses le sont sur Internet, ce qui devrait sécuriser une partie du chiffre d’affaires le temps de la transition du modèle classique VPC au modèle pure player. Pour autant, 3 Suisses s’attend à une nouvelle baisse de son chiffre d’affaires en 2014, après une chute de celui-ci de près de 16% en 2013.
3 Suisses se retrouve désormais en concurrence directe avec bons nombres de rivaux pure player du web comme Zalando (prêt-à-porter), Sarenza (chaussures), Amazon, Cdiscount, Vente-privée ou Asos. Dans le même temps, les concurrents traditionnels de l’entreprise ne sont pas non plus absents du web, comme Galeries Lafayette, La Halle, La Redoute ou Zara. Si 3 Suisses compte sur l’augmentation de ses marges par la réduction de ses coûts (la suppression du catalogue et le licenciement de la moitié de son personnel), une augmentation de sa part de marché paraît difficilement envisageable, limitant ainsi ses marges de manœuvres. Elle n’a tout simplement plus le droit à l’échec.