Après les multiples conflits réunissant FAI, fournisseurs de contenus, autorités de régulation et associations de consommateurs, le débat sur la Net Neutralité vient de connaitre un nouveau rebondissement en Europe. Alors qu’un premier texte du Règlement sur les Télécommunication voté par la commission Industrie, Énergie et Recherche(ITRE) allait dans le sens des fournisseurs d’accès à Internet avec une définition large de la Net Neutralité, le Parlement vient d’adopter le 03 Avril dernier un nouveau texte comprenant des amendements qui encadrent plus précisément ce principe de Net Neutralité. Retour sur cet évènement pour en comprendre les conséquences.
Un vote du Parlement qui renverse la tendance du débat sur la Net Neutralité
Depuis les débuts d’Internet, la Net Neutralité, principe qui garantit un traitement technique identique à tous les fournisseurs de contenus, est un sujet qui divise. D’un côté les fournisseurs d’accès à Internet défendent leur droit, en tant qu’investisseur, à gérer leur bande passante comme ils le souhaitent. De l’autre les partisans de la Net Neutralité défendent un Internet ouvert à tous sans discrimination.
Dans ce combat à l’échelle européenne, la balance semblait dans un premier temps plutôt pencher en faveur des FAI. En effet, dans sa première proposition de Règlement sur les télécommunications de l’Union Européenne en 2013, la commissaire Neelie Kroes avait donné une définition très large de la Net Neutralité. Elle autorisait les FAI à proposer sans trop de restriction des services spécialisés bénéficiant d’une qualité de service supérieure. Pour Françoise Castex, eurodéputée ce texte constituait déjà une menace pour l’Internet libre « Avec ce texte, les opérateurs en ligne pourront lier l’accès des utilisateurs à la toile au subventionnement de « services spécialisés […] C’est la porte ouverte à des offres différenciées d’accès à Internet, à un Internet bridé par des fournisseurs d’accès devenus eux-mêmes fournisseurs de contenus..» Pour mieux comprendre, ce texte aurait par exemple permis à Orange de proposer à ses clients un service qualité supérieure pour Dailymotion (dont Orange est actionnaire) au détriment d’autres fournisseurs de contenus comme Youtube.
Or le 03 Avril dernier, la situation change. Le Parlement Européen adopte un nouveau texte comprenant trois amendements déposés par des eurodéputés. Ces amendements viennent encadrer le principe de Net Neutralité, notamment sur la question des services spécialisés, et empêchent ainsi les FAI de bloquer ou ralentir les services Internet de leurs concurrents. La Quadrature du Net, une association défendant les libertés sur Internet, a très vite salué « une nette victoire pour la protection d’un Internet libre », dans un communiqué.
Le premier amendement du texte adopté vise à encadrer les services spécialisés en réduisant le nombre d’exceptions qui autorisait les FAI à en créer. Ce type de services ne pourra être proposé « que si la capacité du réseau est suffisante pour les fournir en plus des services d’accès à l’Internet et s’ils ne portent pas atteinte à la disponibilité ou à la qualité des services d’accès à l’Internet ».
Le deuxième amendement reprécise la notion de Net Neutralité avec une définition plus positive et contraignante : « Principe selon lequel l’ensemble du trafic Internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application».
Enfin, le dernier amendement garantit que les contenus ne soient pas tronqués selon le terminal ou le point d’accès, une pratique prisée par les opérateurs de téléphonie mobile.
Une victoire mais un parcours encore jalonné d’obstacles pour la Net Neutralité
Certes ce vote constitue une victoire pour les partisans de l’Internet libre mais il ne marque par la fin de la guerre de la Net Neutralité. Le parcours législatif est encore long. Le texte doit maintenant être validé par le conseil européen ou la position de chaque État à un poids plus important.
Or, tandis que certains pays ont déjà adopté des lois protégeant la Neutralité du net comme les Pays-Bas, d’autres comme la France sont plus réticents. Le gouvernement français soutient ainsi, « la position adoptée par le Rapporteur (de la Commission ITRE, ndlr) en ce qu’elle garantit un service d’accès à l’Internet de qualité tout en permettant le développement d’offres commerciales innovantes (« services spécialisés »). Sous réserve que les amendements alternatifs mentionnés ci-dessus ne soient pas adoptés, les autorités françaises considèrent que le rapport de la commission ITRE améliore la proposition de la Commission sur ce thème. »
De plus le cas des États-Unis montre que la situation n’est jamais véritablement établie. En effet le pays, pourtant l’un des premiers à avoir adopté la Net Neutralité, vient de voir ce principe mise à mal par la cour d’appel fédérale de Washington, qui suite à une plainte déposée par Verizon vient d’annuler le règlement adopté en 2011 par la Federal Communications Commission.
À suivre donc sur Telcospinner !