Empreinte environnementale des services d’information : comment aller plus loin que le bilan carbone ?

Mesurer les impacts environnementaux du numérique

Intégrer les enjeux du développement durable dans le domaine de l’informatique peut s’avérer complexe. Les difficultés résident dans le manque de mesures d’impact, la complexité des processus et la difficulté à matérialiser l’informatique. Cependant, il est essentiel de prendre en compte notre consommation numérique, car en moyenne, 35 % de nos limites planétaires annuelles sont utilisées par les activités numériques d’un utilisateur européen.

Alors comment faire pour mesurer notre empreinte environnementale du numérique ?

La méthodologie de l’ACV

L’ACV

L’analyse de cycle de vie (ACV) est une méthodologie utilisée pour évaluer les impacts environnementaux de produits ou services. Elle est normée ISO 14040/14046. À l’échelle européenne, elle est employée pour établir les Product Environmental Footprint (PEF) qui servent de base à la mesure de l’empreinte environnementale généralisée des produits et services.  Les caractéristiques d’une ACV sont les suivantes :

  1. From cradle to the grave : l’ACV intègre toutes les étapes du cycle de vie. Extraction des matières premières et raffinage, usinage et fabrication des pièces, transports, distribution, utilisation, et fin de vie sont pris en compte. Cela garantit la prise en compte de l’ensemble des impacts et donne un cadre de comparaison ;
  2. Multicritères : elle mesure plusieurs indicateurs environnementaux détaillés dans le chapitre suivant. Cela permet de restreindre le report d’impact d’un domaine à l’autre ;
  3. Fonction et unité fonctionnelle : elle définit un objet par la fonction qu’il réalise, cela permet de comparer plusieurs objets différents répondant à la même fonction ;
  4. Standardisée : définition du système d’étude avec des frontières claires, de ou des fonctions étudiées, ainsi que de l’unité fonctionnelle ; puis inventaire du cycle de vie comptant les flux ; puis les calculs transformant les flux en impacts ; puis enfin l’évaluation ces impacts ;
  5. Produits et services : si l’on comprend aisément comment quantifier l’impact environnemental d’un produit numérique par son aspect physique réel, l’exercice est plus abstrait pour un service. Pour autant, il est tout à fait possible d’effectuer l’ACV d’un service : en étudiant la couche physique qui permet l’utilisation de ce service numérique (centres informatiques, équipements, réseaux).

Les indicateurs

L’ACV se régit donc par l’étude de plusieurs indicateurs simultanément. Il existe plusieurs catégories d’impacts, nous choisissons ici de nous concentrer sur les impacts dits mid point. Ces impacts sont orientés problèmes finaux avec des conséquences directes pour l’environnement ou la santé humaine.  Le tableau ci-dessous recense la liste d’impacts recommandées par la méthodologie PEF.

Ces indicateurs sont ensuite associés à des facteurs d’impacts dans des bases de données (type NégaOctet) qui pour chaque élément associe le plus finement possible le jeu d’impacts résultants.  Il en résout que, par exemple, chaque type d’ordinateurs avec leurs paramètres techniques ou encore chaque configuration de serveurs d’un data centers peuvent être modélisés et mesurés.

Indicateur

Explications

Unité

ADPe

Utilisation des ressources minérales et métalliques – Ces ressources abiotiques minérales et métalliques sont limitées. Cet indicateur mesure la quantité en équivalent antimoine retirée de la nature.

Equivalent Kilo d’antimoine (kg Sb eq)

ADPf

Utilisation des ressources fossiles – Ces ressources abiotiques fossiles sont limitées. Cet indicateur mesure la quantité en mégajoule c’est-à-dire l’énergie potentielle dégageable de cette extraction.

Mégajoule (MJ)

AP

Acidification – Cet indicateur calcul la perte de nutriments (calcium, magnésium, potassium…) et leur taux de remplacement par des éléments acides (comme des ions hydrogène)

Equivalent Molécule d’hydrogène (mol H+ eq)

CTUe

Ecotoxicité eau douce – Cet indicateur mesure l’émission des substances toxiques dans l’eau douce.

(CTUe)

CTUh-c

Toxicité pour l’homme cancérogène – Cet indicateur reflète les dommages potentiels sur la santé humaine qui accentuent la possibilité de cancers.

(CTUh)

CTUh-nc

Toxicité pour l’homme non cancérogène – Cet indicateur reflète les dommages potentiels sur la santé humaine.

(CTUh-nc)

Epf

Eutrophisation de l’eau douce – Cet indicateur mesure le potentiel de pollution de certains écosystèmes lorsque que trop de nutriments sont introduits, créant des algues.

Equivalent kilo de phosphore (kg P eq)

Epm

Eutrophisation marine – Cet indicateur mesure le potentiel de pollution de certains écosystèmes lorsque que trop de nutriments sont introduits.

Equivalent kilo d’azote (kg N eq)

Ept

Eutrophisation terrestre – Cet indicateur mesure le potentiel de pollution de certains écosystèmes lorsque que trop de nutriments sont introduits.

Equivalent mole d’azote (mol N eq)

GWP

Changement climatique – Cet indicateur mesure le potentiel de réchauffement global lié au gaz à effet de serre ramené à leur équivalent en CO2.

Equivalent kilo dioxyde de carbone (kg CO2 eq)

IR

Rayonnement ionisant, problématique pour la santé humaine – Cet indicateur mesure le rayonnement ionisant, forme d’énergie libérée par certains atomes rapporté à l’uranium.

Equivalent kilo d’uranium (kBq U235 eq)

LU

Utilisation des sols – Cet indicateur mesure l’impact relatif à l’occupation et à la transformation des terres liées à des activités humaines.

Sans dimension

ODP

Appauvrissement de la couche d’ozone – Cet indicateur mesure le potentiel de déplétion de la couche d’ozone dans la stratosphère.

Equivalent kilo de chlorofluorocarbures (kg CFC-11 eq)

PM

Matières particulaires qui augmentent l’occurrence de maladies – Cet indicateur mesure la concentration de solides et liquides en suspension dans un gaz pouvant engendrer des maladies.

Occurrences de maladies

POCP

Formation photochimique de l’ozone – Cet indicateur mesure le potentiel de création d’une couche d’ozone photochimique au sol.

Equivalent kilo de composés organiques volatils non méthaniques (kg NMVOC eq)

WU

Consommation d’eau – Cet indicateur mesure la consommation en eau, ce qui permet d’évaluer la tension sur l’eau douce.

Equivalent mètre cube (m3 eq)

Le process : les flux entrants et sortants

Il faut ensuite procéder à l’inventaire des éléments de notre périmètre d’étude. Prenons l’exemple d’une DSI, il lui faudrait recenser tous ses équipements, ses différentes configurations mais aussi les logiciels utilisés ainsi que les collaborateurs faisant partie de la DSI. Cette étape de dénombrement peut être fastidieuse d’où l’importance de bien avoir définit le périmètre d’étude.

Analyser et comprendre les résultats

Comment alors nous rendre compte du « Est-ce beaucoup ? » ?

Raisonner en frontière planétaire mesurée en PBCI pour « planet boundaries per capita indicator » peut permettre de se rendre compte de l’ampleur. Cette méthode permet de :

  1. Normaliser : tous les indicateurs sont exprimés en « planète » ;
  2. Pondérer : chaque indicateur a un poids en fonction de son implication dans les crises environnementales.

De façon très simple, ce cadre permet de fracturer notre système terrestre en 9 limites. Lorsqu’une ou plusieurs de ces frontières est dépassée (valeur > 1), il existe alors un risque accru de changement radical de système pouvant alors conduire à la disparition de la vie sur Terre telle que nous la connaissons. L’indicateur des frontières planétaires par habitant est un moyen de mesurer la quantité de pression exercée par une population donnée sur son environnement.

Finalement, pourquoi faire une ACV ?

Les bénéfices d’une ACV

  1. Pour éco-concevoir : il peut être judicieux de réaliser un exercice d’ACV simplifié en amont d’un projet pour à la fois se projeter et faire des choix de conception respectueux de l’environnement à la création.
  2. Pour comprendre et agir efficacement : avant de pouvoir mettre en place un plan d’action de réduction de l’empreinte environnementale d’un SI, une ACV décrit les différents pôles d’impacts permettant ainsi de cibler les chantiers de Numérique Responsable à mettre en place prioritairement.
  3. Pour communiquer : pour garantir une communication transparente envers ses parties prenantes, ou encore consolidée son reporting RSE, une organisation peut se tourner vers l’ACV.

Conclusion

L’analyse de cycle de vie est une méthodologie précise, rigoureuse et normée permettant une compréhension totale de l’empreinte environnementale d’une DSI et des éléments qui la compose. Sa portée est essentielle pour élaborer un plan d’action Numérique Responsable efficace. Pour aller plus loin, il est également intéressant de mesurer l’impact économique et sociale du numérique pour répondre à des enjeux plus larges de développement durable.

 

Sources

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