Depuis les débuts de l’ère des « Personal Computers », l’architecture X86, portée principalement par Intel et AMD, a été le pilier fondamental sur lequel reposait la puissance et la performance de nos machines. L’obsession initiale pour la puissance de calcul et la rapidité d’exécution a façonné les premiers PC, mais l’évolution constante de la technologie et l’apparition de la mobilité a introduit de nouveaux impératifs, notamment la réduction significative de la consommation énergétique des processeurs pour répondre aux besoins des PC portables.
L’émergence de la mobilité
En 2007, avec l’avènement du premier iPhone, nos smartphones ont commencé à se démocratiser. L’architecture utilisé pour les téléphones et tablettes est ARM, appartenant à la société du même nom. ARM adopte une approche différente en mettant à disposition sa licence aux entreprises intéressées par le développement de processeurs basés sur cette architecture, moyennant le versement de royalties. Cette démarche découle en partie du modèle commercial d’ARM, axé exclusivement sur la conception architecturale et la vente de licences.
Cela est en contraste avec la position d’Intel qui cherche à maintenir un contrôle complet sur le processus de développement des processeurs, depuis la conception architecturale jusqu’à la fabrication des semi-conducteurs (métier de fondeur) et la commercialisation de ses processeurs. En effet, l’architecture x86 n’est exploitable que par les entreprises Intel et AMD en raison d’un système de cross-licencing entre les 2 géants américains verrouillant ainsi le marché et empêchant l’accès à d’autres acteurs potentiels.
L’architecture ARM transforme le marché
La flexibilité d’ARM a permis aux fabricants de semi-conducteurs de créer des processeurs sur une architecture ouverte, mais sous licence, en développant des System-on-Chip (SoC). Ces SoC regroupent divers composants tels que la partie graphique et la mémoire, offrant une solution intégrée particulièrement adaptée aux téléphones nécessitant des systèmes miniaturisés. La demande croissante de smartphones a conduit à la multiplication des acteurs dans l’industrie des processeurs, avec des entreprises telles que Qualcomm avec sa série Snapdragon, Mediatek, Samsung, et même Apple, qui a décidé de concevoir ses propres processeurs pour les iPhones.
Il est important de noter que ces entreprises, y compris Apple, sont des entreprises fabless. Elles se concentrent uniquement sur la conception des puces basées sur l’architecture ARM, sous-traitant la partie fabrication à des fondeurs. Parmi eux, le leader incontesté est le taïwanais TSMC, dont les clients principaux sont Qualcomm, Apple et Mediatek. Ils représentent ensemble 80 % des processeurs de smartphones vendus dans le monde. Les 20 % restants sont fabriqués par le sud-coréen Samsung, qui se distingue en tant que concepteur et fondeur de ses propres puces.
La quête incessante de mobilité au cours des années 2010 a incité les fabricants à focaliser leurs efforts sur l’optimisation de l’efficacité énergétique des processeurs, dans le but ultime d’améliorer l’autonomie des appareils. La première méthode est de rendre la finesse de gravure des transistors plus fine. Dans cette course technologique, la maîtrise de cette finesse de gravure est l’apanage des fondeurs, donnant lieu à une compétition acharnée entre TSMC, Samsung et Intel. Actuellement, TSMC est en tête de la course avec une gravure de 3 nm, inaugurée sur l’iPhone 15 Pro équipé de la puce A17, suivi de près par Samsung. Bien que tardif, Intel est en train de rattraper progressivement son retard qu’il a accumulé depuis la fin des année 2010
La Transition d’Apple vers une architecture ARM pour ses Macs
En 2020, Apple a dévoilé ses nouvelles puces M1 pour ses MacBook, destinées à remplacer les puces x86 d’Intel. Cette décision s’inscrit dans la volonté d’Apple de prendre en main sa chaîne de production et de concevoir le plus de composant possible en internalisant le processus.
L’adoption de l’architecture ARM a été une opportunité majeure pour Apple dans la création de ses propres processeurs. Les ingénieurs d’Apple conçoivent les processeurs, paient des royalties à ARM pour l’utilisation de son architecture, et confient la fabrication de ces processeurs au fondeur TSMC, bénéficiant ainsi de la meilleure finesse de gravure du marché.
Une tendance émerge à mesure que les processeurs ARM évoluent : leur puissance s’aligne de plus en plus sur celle des processeurs X86, tout en offrant une efficacité énergétique supérieure. Ce progrès se traduit par la création d’ordinateurs plus endurants, comme le démontrent les nouveaux MacBook d’Apple. Leur autonomie annoncée, surpassant de 30 à 50 % celle des PC équipés de processeurs X86, témoigne de l’impact significatif de l’architecture ARM sur la durée de vie de la batterie.
D’autres fabricants de processeurs ont également commencé à produire des processeurs destinés aux PC, Qualcomm étant un exemple notable avec son lancement des Snapdragon pour les PC et les Chromebooks. Cependant, l’obstacle majeur pour les fabricants adoptant les processeurs ARM réside dans la non-rétrocompatibilité des logiciels x86 de Windows avec l’architecture ARM. La liberté accordée par Microsoft lors du développement de logiciels x86 a créé un vaste historique d’applications largement utilisées par les particuliers et les entreprises au quotidien.
Des solutions pour résoudre la compatibilité logicielle
Pour résoudre la problématique de compatibilité x86, Apple a mis en place un logiciel de traduction de code entre les logiciels x86 et ARM, appelé Rosetta 2. Cette solution a permis aux utilisateurs des nouveaux Mac M1 d’accéder à l’ensemble des logiciels historiques tout en ayant la possibilité d’installer de nouvelles applications ARM natives, optimisées pour cette nouvelle architecture. Cet engouement a incité les éditeurs de logiciels professionnels, à l’instar d’Adobe, à développer rapidement des versions ARM de leurs produits.
L’enthousiasme suscité provient principalement de la différence notable en termes d’autonomie. Même avec les progrès récents des processeurs AMD, qui permettent aux fabricants de PC de promettre des autonomies allant jusqu’à 14 heures, l’optimisation logicielle, l’activation des ventilateurs et la complexité du système Windows font que cette autonomie peine à être maintenue en conditions d’utilisation réelle. À l’inverse, les nouveaux Mac affichent fièrement une autonomie de 15 heures, une promesse qui demeure respectée même lors d’une utilisation intensive. Depuis l’avènement des nouveaux Mac, il devient envisageable de mener une journée de travail sans nécessité de transporter un chargeur, une première !
Du côté des PC, Windows 10 a permis l’installation du système d’exploitation sur des architectures ARM, avec une émulation des logiciels x86-64 rendue possible par la suite. Les applications ARM disponibles sur Windows se trouvent dans le Windows Store, mais ce dernier demeure relativement limité en termes de variété d’applications. Il offre peu d’attrait tant pour les utilisateurs professionnels que pour les particuliers et c’est une des raisons de son échec.
Face au succès des Mac M1, les acteurs du marché des PC se réveillent, avec Qualcomm annonçant des processeurs pour PC aussi performants que ceux d’Apple et d’Intel. Même AMD, traditionnellement associé à l’architecture x86-64 avec Intel, s’apprête à lancer avec Nvidia un SoC ARM.
Windows 12 promet quant à lui une prise en charge native de l’architecture ARM, avec une émulation assurant la rétrocompatibilité des applications, suivant ainsi l’exemple de Rosetta 2 d’Apple.
Conclusion
L’avenir des PC dépend de vos choix : d’ici trois ans, nous pourrions voir coexister trois mondes distincts :
- Les MacBook ARM ;
- Les PC x86-64 équipés de processeurs Intel ou AMD ;
- Les PC ARM dotés de processeurs Qualcomm, Mediatek, et autres.
Chacun aura ses spécificités, et il est probable que des fabricants de PC tels que Lenovo, HP, Asus, Acer ou Dell proposeront deux lignes de produits distinctes dans leur catalogue : les PC « classiques » sous x86 et les PC « mobility » sous ARM. Il convient de ne pas sous-estimer la puissance et l’influence d’Intel et d’AMD, qui, grâce à leur histoire et à leur image de marque bien établie, pourraient demeurer des acteurs incontournables. Leur partenariat commercial avec les fabricants et la marque « Intel » associé à la puissance peut rassurer les canaux de distributions sur la capacité d’Intel à pouvoir vendre des PC avec son logo apposé sur le châssis.
Quant aux ordinateurs PC sous ARM, ils seront conçus avec des SoC tout-en-un, intégrant la partie graphique, la mémoire, et même le réseau. Étant donné que Qualcomm est un fabricant de modems 5G, il n’est pas exclu de voir des ordinateurs arborant la marque « nomade« , offrant une excellente autonomie et une connexion 5G permanente, similaire à nos smartphones, sans dépendre du Wi-Fi.
Pour les entreprises, l’avènement des solutions cloud transforme fondamentalement la manière dont le travail numérique est effectué dans les entreprises, réduisant progressivement leur dépendance aux logiciels conçus pour l’architecture x86 sous Windows. Du côté de Microsoft, les logiciels de productivité tels que la suite Office 365 ou Teams sont déjà disponibles et optimisés pour les versions ARM de Windows. L’adoption croissante des PC sous ARM au sein des entreprises dépendra en grande partie du nombre de logiciels hérités utilisés, mais elle pourrait être accélérée si Microsoft faisait la promotion active de son outil de traduction de code. Cette initiative viserait à rassurer les clients sur la possibilité d’utiliser des applications x86 sur les processeurs ARM, suivant ainsi l’exemple d’Apple lors de sa transition vers cette architecture.