La promesse du métavers est de proposer un monde virtuel immersif auquel n’importe qui peut se connecter en étant représenté par son avatar, avoir un patrimoine propre à ce monde et y pratiquer des activités aussi diversifiées que dans le monde réel. Au départ, une telle définition appartenait au domaine de la science-fiction.
Pourtant, il se pourrait que cela devienne progressivement réalité. Aussi, beaucoup y voient un risque d’aberration écologique : en effet, l’ambition de rivaliser avec notre monde réel nécessite des quantités de calcul, de flux et de stockage de données immenses ainsi que des interfaces pour y accéder, avec tous les impacts environnementaux (dont les émissions de gaz à effet de serre) que cela implique.
Nous allons explorer dans cet article un cas d’usage lié à la conférence en ligne, correspondant à une définition plus ‘réduite’ du métavers (soit la réalité actuelle), qui pourrait se résumer de la sorte : un univers virtuel 3D persistant ou non qui offre à ses utilisateurs une expérience interactive et immersive. Une telle définition du métavers a l’avantage d’être limitée aux salariés d’une entreprise et d’améliorer leurs conditions de travail à distance.
Notre éclairage sur l’impact environnemental d’événements en ligne se base notamment sur le fonctionnement des solutions Aptero et Teemew, qui sont deux fournisseurs de solution de métavers créant des environnements virtuels personnalisés afin d’organiser des événements, des formations, des conférences et séminaires.
Interface d’accès au métavers : l’impact écologique des casques de réalité virtuelle
Accéder à un métavers de type ‘évènement en ligne’ nécessite l’utilisation d’une interface.
Dans le cas où cette interface est uniquement un ordinateur ou un smartphone (ce qui est envisageable pour les solutions Aptero ou Teemew par exemple), nous pouvons considérer qu’il n’y a pas d’impact environnemental additionnel au niveau des terminaux utilisateurs (puisque l’ordinateur ou le smartphone ont été achetés pour d’autres besoins ; l’accès au métavers n’impacte donc pas leur condition d’achat / renouvellement).
Dans le cas où l’interface d’accès est un casque de réalité virtuelle, il convient en revanche de considérer que l’achat d’un tel casque est lié à l’utilisation d’une solution métavers. Deux grandes technologies de casques existent aujourd’hui concernant les écrans : OLED et LCD. Les casques à écran OLED étant bien plus légers que ceux à écran LCD, et l’un des facteurs les plus pris en compte dans l’achat d’un casque étant son poids, nous pouvons nous attendre à ce que leur production continue d’augmenter et soit majoritaire dans le futur. Pour cette raison, il est pertinent d’étudier l’impact environnemental en cycle de vie d’un casque avec écran OLED.
Un tel travail a été mené via le projet CEPIR (Cas d’Etude Pour Un Immersif Responsable), qui vise à mesurer les impacts environnementaux de la réalité augmentée. Ses équipes et celles de TIDE Environnement ont étudié l’ACV (analyse du cycle de vie) de trois casques de réalité virtuelle différents.
Comme pour beaucoup de matériels numériques, la phase de fabrication de ces casques représente la grande majorité de leurs émissions de gaz à effet de serre (environ 80%). L’étude CEPIR permet par ailleurs de constater que la fabrication des casques à écran OLED représente deux fois plus d’émissions que la fabrication de casque à écran LCD. Concrètement, les émissions GES d’un casque OLED s’élèvent à ~99 kgCO2eq, soit un ordre de grandeur légèrement supérieur à celui d’un smartphone (à titre de comparaison, les émissions de GES d’un Iphone 11 avec un stockage de 64 GB sont estimées à 72 kgCO²eq tout au long du cycle de vie – source : Boavizta –).
Par conséquent un développement massif du métavers impliquerait donc une généralisation de casques au sein de la population humaine qui suffit pour représenter un impact environnemental absolument significatif. Il est souhaitable qu’une telle éventualité n’advienne pas si nous voulons que le numérique “rentre” dans une trajectoire d’émissions de GES alignée avec la science au niveau mondial (qui nécessite, pour rappel, une décroissance des émissions de 30 à 60% entre 2020 et 2030 pour rester sous 1.5 degrés – source : SBTi ICT guidance-).
Heureusement, l’utilisation de tels casques n’est pas nécessaire pour des solutions comme Teemew et Aptero par exemple.
Quel impact sur le trafic de données ?
Selon les fournisseurs de métavers interrogés, l’immersion dans le métavers est liée aux avatars représentant chaque utilisateur ainsi qu’à la spatialisation du son. Contrairement à une visioconférence, les utilisateurs peuvent donc se dispenser de la vidéo pour avoir un sentiment de présence.
Nous avons donc estimé les quantités de données transitant sur le réseau pendant une visioconférence classique et dans le métavers. Pour approximer les volumes de données transitant par des flux audios et des flux vidéo (Full HD), nous nous sommes appuyés sur les chiffres fournis par Teams et Zoom d’une part, et sur les données d’Aptero et Teemew d’autre part.
La conclusion est que lors d’une réunion dans le métavers (et si les caméras ne sont pas utilisées dans la solution métavers), il y a environ 13 fois moins de données qui transitent que dans une visioconférence classique (sources : Teams et Zoom). Ainsi, pour ce cas d’usage précis de vidéoconférence, le métavers présente un intérêt écologique en limitant les flux de données (sous réserve de ne pas utiliser de casque pour y accéder, cf. Paragraphe précédent).
Quel impact au niveau des centres de données ?
Il est difficile de comparer l’impact de l’utilisation d’une solution de vidéoconférence classique et d’une solution de métavers au niveau des centre de données, compte tenu du manque d’informations associées. En première approche dans le cadre de cet article, nous considérerons que l’impact associé est d’un ordre de grandeur similaire.
Le rythme de développement du métavers (et donc l’impact environnemental associé) reste incertain
Gartner a établi en 2023 dans son cycle pour les technologies émergentes que le pic d’engouement lié au métavers pourrait être atteint d’ici une dizaine d’années.
Il convient d’être lucide sur le fait qu’un déploiement massif du métavers, pour se rapprocher de sa définition la plus ambitieuse, générera des impacts environnementaux massifs (bien que certains cas d’usage très spécifiques comme les conférences en ligne puissent être bénéfiques sous certaines conditions, comme tente de l’éclairer cet article).
Difficile de dire aujourd’hui à quelle vitesse se développera le métavers. Il semble que la priorité des grands acteurs de la tech se soit recentrée sur l’IA générative (à l’image de Méta par exemple), au moins temporairement. Toutefois la volonté de mettre en place le concept de métavers dans sa définition la plus ambitieuse semble rester importante, notamment au niveau institutionnel (comme en témoignent les réflexions en Europe sur ce sujet).
Espérons que les enjeux environnementaux seront davantage traités au bon niveau à l’avenir, en abandonnant la posture historique (consistant à trouver des cas d’usages ‘parce que la technologie existe’) pour ne cibler que les cas d’usages ayant un impact environnemental positif.