Les FrontLine Workers, des populations qui ont besoin d’être accompagnées dans leurs mutations technologiques
L’étude Microsoft1 dédiée aux FrontLine Workers (FLW)* sortie en ce début d’année 2022 est sans appel : les travailleurs de première ligne se sentent mal intégrés à la culture de leur entreprise. En effet, ils sont plus de 60 % à estimer que les messages provenant du top management ne leur sont pas transmis et plus de 50 % à ne pas se sentir valorisés en tant qu’employés. Malgré ce que l’on peut imaginer, ce sont aussi des populations avec de fortes attentes concernant leur digitalisation. Effectivement, toujours d’après cette étude Microsoft, ils sont 63 % à être excités par les opportunités professionnelles créées par la Tech’. Toutefois, cet optimisme pour le digital est à modérer. Effectivement, les FrontLine Workers sont encore des populations qui souffrent d’un retard de digitalisation non négligeable en comparaison avec leurs collègues Office Workers (employés de bureau). Parmi les répondants de cette enquête, ils sont plus de 50 % à avoir dû s’adapter et prendre en main les outils digitaux sans réelle formation et accompagnement. Cette digitalisation encore timide leur fait craindre des pertes d’emploi. En effet, ils sont nombreux à penser qu’un manque d’adaptation aux nouvelles technologies leur coûtera leur place. Il est donc indispensable de les rassurer et les accompagner lors des mutations technologiques à venir.
La conduite du changement des FrontLine Workers est donc un sujet primordial, encore trop peu considéré par de nombreuses entreprises. Ce sont des populations qui manquent souvent de maturité digitale et qui ont un réel besoin d’accompagnement dans l’appropriation de leurs outils numériques.
Une première phase de diagnostic et de cadrage
Même si elle comporte un certain nombre de spécificités, la phase de conduite du changement auprès des FrontLine Workers suit une structure logique que l’on retrouve auprès d’autres populations. La première étape essentielle consiste donc à cadrer cette phase de conduite du changement, en prenant en compte toutes les subtilités liées à la nature des populations adressées.
Il est capital d’appréhender au mieux le contexte de l’entreprise et notamment son niveau de maturité digitale. L’objectif est donc ici d’identifier les initiatives internes existantes, le niveau de sensibilisation au numérique des FLW, mais aussi les ressources sur lesquelles il va être pertinent de capitaliser durant la phase de conduite du changement. L’autre objectif de cette étape est de comprendre l’ambition du projet porté par l’entreprise pour ses populations FrontLine Workers. Il est crucial de déterminer l’envergure du projet, identifier clairement les besoins auxquels il répond, mais aussi ses impacts potentiels sur les FLW et le reste de l’entreprise.
La récolte des besoins des FLW est un élément important durant cette phase de cadrage. Il est nécessaire de passer par une étape de réflexion avec eux afin d’identifier leurs besoins et les principaux irritants rencontrés avec l’écosystème technologique actuel, lorsque ce dernier existe. En effet, il n’est pas rare de voir les agents en première ligne évoluer dans un véritable néant numérique. Le niveau de maturité technologique des FrontLine Workers est beaucoup plus hétérogène que celui de populations de bureau. Certains sont capables de prendre en main des outils technologiques complexes rapidement alors que d’autres ont des difficultés à s’approprier leur environnement numérique. C’est un élément à ne pas négliger durant la phase de conduite du changement et notamment durant la période de formation qui se doit d’être adaptée au niveau de connaissances des populations ciblées.
Cette étape de récolte des besoins demande donc d’organiser des rencontres avec les utilisateurs finaux et non pas uniquement les directions métiers qui auront bien souvent une vision incomplète du besoin final. Dans les grandes entreprises, il n’est pas rare de voir des FrontLine Workers se plaindre d’avoir entre leurs mains un outil qui ne leur est pas forcément utile ou qui répond partiellement aux cas d’usage à forte valeur ajoutée. Cela s’explique souvent par un manque de concertation et un manque de considération de la part des décideurs qui sont souvent incapables d’appréhender toutes les facettes des métiers des agents de première ligne. Le particularisme des populations de FLW requiert donc une proximité accrue afin d’être certain d’assimiler avec précision leur quotidien et leurs besoins.
Une seconde phase de co-construction de la feuille de route
Après cette première phase de cadrage permettant l’identification des populations ciblées et l’appréhension du contexte global, vient l’étape de co-construction du plan de conduite du changement, étape qui doit s’appuyer sur l’intelligence collective. Durant cette phase de co-construction, il est capital d’aller à la rencontre des principaux concernés. Cette immersion auprès des acteurs présents sur le terrain a plusieurs objectifs. Bien entendu, elle permet de comprendre les besoins de ces populations, leurs frustrations et tout simplement leur vie quotidienne, mais elle permet également de gagner en légitimité et d’exercer un travail d’influence auprès de ces populations. En effet, ce temps d’immersion doit être utilisé afin de rassurer les FrontLine Workers sur les objectifs de ce changement qui peut parfois paraître radical. Il n’est donc jamais trop tôt pour mener une opération séduction auprès des FLW et les convaincre du bien-fondé du projet. Ici, il faut fixer un cap et partager sa vision auprès de l’ensemble des populations ciblées.
Il est aussi tout à fait pertinent de se rapprocher des managers de proximité, car ils connaissent bien leurs populations FLW et leurs spécificités. Ils seront utiles dans l’identification des FrontLine Workers, représentatifs d’un persona typique, qu’il faudra impliquer dans le projet en fonction de leur ancienneté, leur réticence au changement ou encore leur niveau de maturité quant à l’utilisation d’outils numériques. Il paraît approprié de réaliser un premier sondage auprès des FLW identifiés pour en savoir un peu plus sur leur environnement et leurs besoins éventuels, tout en s’adaptant à leurs canaux de communication :
Faut-il se rendre directement sur le terrain pour les sonder ? Est-il envisageable de leur distribuer un questionnaire papier ? Ont-ils une adresse email individuelle afin de les contacter à distance ? Comme évoqué précédemment, les FrontLine Workers souffrent généralement d’un retard du point de vue de leur maturité digitale et donc des outils numériques à leur disposition dans leur travail quotidien. Il faut donc bien souvent enfiler le bleu de travail et aller à les sonder directement sur le lieu où ils exercent.
A l’issue de cette phase d’immersion sur le terrain, il est nécessaire de synthétiser toutes les informations récoltées et en tirer des enseignements. L’un des enjeux majeurs ici est d’identifier les principales résistances au changement à envisager et structurer la feuille de route qu’il faudra dérouler lors de la dernière étape.
Une troisième et dernière phase de déploiement
Après cette phase cruciale de définition de la stratégie, vient le déploiement de cette dernière. Ce déploiement s’appuie sur le triptyque communication – formation – consolidation. Ici, il est essentiel de définir clairement le rôle de chacun. Chose tout aussi essentielle : garder en tête qu’il est primordial de s’appuyer sur l’intelligence collective et sur l’ensemble des strates hiérarchiques durant la mise en place de la conduite du changement. En effet, il n’est pas rare de voir les FrontLine Workers protester lorsqu’ils voient des projets en provenance des hautes strates hiérarchiques impacter leur quotidien sans qu’ils ne soient jamais réellement considérés durant les phases de réflexion et de conception. Les managers de proximité des FLW sont donc des alliés à ne pas négliger : ils ont généralement acquis une vraie légitimité auprès de leurs équipes, tout en ayant une vision claire de leur quotidien tout en gardant une certaine hauteur.
Les managers de proximité ne sont pas les seuls alliés sur lesquels s’appuyer durant cette phase de déploiement. En effet, au sein même des équipes, certains individus sont plus digital friendly et aptes à incarner le lead que d’autres et ont donc un rôle essentiel à jouer durant cette étape. Il est nécessaire de les identifier et de responsabiliser ces leaders technophiles informels afin qu’ils jouent un rôle d’évangélisateur et de pilier auprès de leurs collègues durant la phase d’appropriation des outils/du changement.
Bien souvent, il faut faire preuve d’imagination et de flexibilité en ce qui concerne les formats de communication et de formation. Effectivement, les éléments contraignants sont nombreux, notamment :
- Une maturité digitale hétérogène des populations ciblées
- Des activités quotidiennes en mobilité sur un territoire, incompatible avec des présentations longues en réunion
- Un environnement de travail parfois inadapté aux formes de communication digitales (manque de réseau, environnement extérieur hostile, salles de réunion inexistantes ou exiguës, etc.)
Pour faire face à toutes ces contraintes, il est important d’utiliser des formats de communication et de formation adaptés :
- Privilégier les supports physiques tels que des flyers à disposition dans les salles de repos, des kakemonos à des endroits visibles, les panneaux d’affichage à disposition, etc.
- Adapter le discours/le niveau des formations à chaque interlocuteur : les segmenter par niveau de maturité et de compréhension afin de leur proposer un contenu approprié
- Intégrer les éléments d’information les plus importants dans les réunions déjà existantes
- Capitaliser sur des formations au format vidéo : le salarié en prend connaissance en dehors des périodes de forte activité. Cependant, cela demande aux FLW d’avoir un appareil technologique à disposition sur lequel visionner ces vidéos
Malgré ces contraintes et ces méthodes différentes, il reste tout à fait pertinent de s’appuyer sur des modules classiques de formation tels que des ateliers participatifs, des démonstrations en présentiel ou encore des actions ponctuelles de coaching pour les personnes en difficulté.
Enfin, il est capital d’assurer le suivi de la démarche et des résultats afin de capter les retours des utilisateurs sur la solution déployer et ainsi identifier leurs points de frustration dans une logique d’amélioration continue. Pour cela, il est intéressant de sonder à nouveau les FrontLine Workers et leurs managers à l’issue de cette phase de déploiement.
En conclusion
D’après une étude publiée en 2016 par McKinsey & Company2, 70 % des projets de transformation n’atteignent pas les objectifs fixés à leur début. Bien souvent, le manque de consistance de la stratégie de conduite du changement n’y est pas étranger. En apparence, la mise en place d’une telle démarche auprès des FrontLine Workers n’a rien de révolutionnaire dans sa méthodologie. Néanmoins, c’est un chantier à ne pas négliger et demandant une attention toute particulière de par la spécificité des populations ciblées et de leurs besoins. Ces dernières ont été délaissées par les grands projets de transformation digitale ces dernières années. Cependant, la crise COVID nous a rappelé leur importance. Nul doute alors que les FrontLine Workers vont voir de plus en plus de projets de transformation technologique venir impacter leur quotidien. Wavestone se tiendra prêt pour les accompagner dans ces nombreux changements !
Lexique
Les FrontLine Workers (FLW)* regroupent l’ensemble des collaborateurs non-rattachés à une position de travail bureautique, dont les tâches constituent le cœur des activités de l’entreprise, dans sa phase productive ou commerciale. Ils représentent en moyenne les deux tiers des ressources humaines des organisations, et couvrent un vaste panorama de profils, souvent spécifiques aux branches d’activité, autant dans les secteurs des services, de l’industrie, de la logistique que de la vente au détail.
Bibliographie
[2] https://www.mckinsey.com/industries/retail/our-insights/the-how-of-transformation#