L’investissement du Ségur de la santé et de la stratégie « Ma santé 2022 » dans le numérique pour une meilleure organisation et coordination des acteurs du territoire
La crise sanitaire a été l’occasion de repenser l’organisation des soins à l’hôpital et plus largement au niveau du territoire. Elle a révélé la nécessité d’investir dans des solutions numériques de coordination des professionnels de santé. Dans ce cadre, le Ségur de la santé compte accélérer cette modernisation avec un investissement qui s’élève à 2 milliards d’euros dans le numérique. L’organisation territoriale est aussi un enjeu du Ségur de la santé : « Le quatrième enjeu est de bâtir une nouvelle organisation du système de santé dans chaque territoire, intégrant l’hôpital, la médecine de ville et le médico-social” précise M. Édouard PHILIPPE, à l’occasion du lancement du Ségur [1]. Une partie des travaux annoncés viennent appuyer les transformations engagées par Ma Santé 2022 et visent une coordination des soignants du territoire, dont ceux à l’hôpital autour de projets de santé adaptés aux besoins des Français.
Quels sont les enjeux de la coordination des professionnels de l’hôpital et du territoire ?
Besoins et réclamations des Français
Si les projets de santé se focalisent de plus en plus sur la coordination des professionnels à l’hôpital et au territoire, c’est parce que le besoin des Français à ce sujet est réel. Une étude réalisée par IPSOS online, du 27 au 31 mai 2016, sur un échantillon représentatif de 2 000 Français âgés de 18 ans et plus, a montré que 42% des Français déclarent “qu’il est fréquent que les médecins qui les suivent en ville et à l’hôpital ne communiquent pas entre eux, 38% en ce qui concerne les personnels de santé hospitaliers entre eux” [2].
Les enjeux de cette coordination et son urgence
Ces chiffres mettent en évidence l’urgence de l’investissement dans le partage efficace des données du patient entre l’hôpital, la médecine de ville et le secteur du médico-social. Le dossier du patient doit pouvoir mettre en lien tous ces acteurs surtout lorsque l’état de santé, la situation sociale ou le handicap du patient oblige plusieurs spécialistes et types d’établissements à intervenir. Les praticiens de l’hôpital doivent avoir accès aux traitements antérieurement administrés au patient et à ses antécédents médicaux comme les maladies chroniques, les allergies ou les complications à prendre en compte dans le type de soins à prescrire.
La mutualisation des données du patient constitue un grand pas vers un parcours sans rupture, ajoutons à cela le gain de temps qu’elle permettra aux professionnels capables de cerner rapidement l’état du patient et le traiter directement surtout dans le cas des malades chroniques.
Avec l’évolution des méthodes de prises en charge des patients visant à les maintenir de plus en plus à domicile à travers la télémédecine, l’hospitalisation à domicile, les thérapies et chimiothérapies orales, le patient a besoin plus que jamais d’être accompagné dans son parcours par des professionnels communiquant entre eux et bien renseignés sur son état de santé.
Quels dispositifs organisationnels sont mis en place pour coordonner les professionnels de santé ?
Zoom sur la santé organisée par territoire et ses principaux acteurs
Afin de comprendre les mécanismes de coordination des professionnels dans un territoire, il est important de s’intéresser à l’organisation territoriale de la santé. En effet, la loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » du 21 juillet 2009 a instauré une nouvelle organisation du système de santé en territorialisant les politiques de santé afin d’adapter les activités des institutions aux nouveaux besoins des populations. Le décloisonnement entre les différents secteurs hospitalier, médico-social, et ambulatoire s’inscrit au centre de ses objectifs.
L’organisation du système de santé se divise en deux échelons : un échelon régional et un échelon territorial.
Les dispositifs organisationnels au niveau du territoire et leur unification dans le cadre des Dispositifs d’Appui à la Coordination (DAC)
Plusieurs dispositifs organisationnels ont vu le jour dans le but de coordonner les professionnels autour des parcours de santé complexes. On peut citer les services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (MAIA), les réseaux de santé, les plateformes territoriales d’appui (PTA), les coordinations territoriales d’appui (CTA) du programme national personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA), les centres locaux d’information et de coordination (CLIC)….
Cette multiplicité de dispositifs peut s’avérer parfois illisible pour le professionnel de santé. C’est pourquoi, ces initiatives vont être amenées à se rassembler graduellement d’ici 2022 en un seul et unique dispositif d’appui à la coordination (DAC) [7]. Tous les professionnels du territoire sont concernés par ce dispositif, y compris ceux de l’hôpital et pourront bénéficier d’une aide à l’organisation des parcours à travers l’information sur les ressources médicales et la mise en relation des professionnels.
Quelles initiatives numériques sont mises en place pour coordonner les professionnels de santé ?
Un cadre national pour l’interopérabilité des SIH
Mettre en place des dispositifs organisationnels n’est pas suffisant pour coordonner les professionnels. Dans le cadre de l’informatisation du dossier médical du patient bien engagée par 96% des établissements (selon le rapport Atlas des SIH 2018) [8], l’interopérabilité des systèmes d’information s’impose comme un enjeu central. Pour y répondre, l’Agence de numérique en santé (ANS) a conçu un cadre d’interopérabilité des systèmes d’information (CI-SIS). En effet, le CI-SIS est un document rassemblant un ensemble de règles techniques et sémantiques qui permettent aux systèmes d’informations d’échanger sans engendrer des développements informatiques supplémentaires [9].
En se basant sur des normes et des standards internationaux, le CI-SIS fluidifie les échanges entre des systèmes qui peuvent être “bien construits” mais mutuellement incompatibles. Le CI-SIS existe depuis 2009 et évolue à travers les années avec les cas d’usages remontés et déposés via le guichet unique. L’état vise à faire appliquer ces référentiels d’interopérabilité et faire labelliser les logiciels hospitaliers ouverts et interfaçables afin de mieux couvrir les besoins émergents des services de partages de données comme le dossier médical partagé (DMP) et l’espace numérique en santé (ENS) [10]. Il faudrait donc que les organisations publiques ou privées puissent tester la conformité de leurs produits avec les référentiels d’interopérabilité. Dans ce cadre, L’ANS a ouvert un espace de tests d’interopérabilité des SI de santé (SIS) [11].
Dans ces temps de crise sanitaire, les données issues de la télémédecine sont en croissance. Il a été nécessaire de prendre cette évolution en considération. Ainsi, Il y’a eu la réalisation du volet Télémédecine (TLM) dont le but principal est de favoriser les échanges des données de patients issues de télémédecine. Ce volet constitue “les spécifications fonctionnelles et techniques des documents médicaux électroniques à produire par les logiciels des médecins pratiquant la télémédecine lors des actes de téléconsultation et de téléexpertise” [12].
Ce cadre d’interopérabilité a évolué avec la mise en place des projets comme le programme HOP’EN pour « Hôpital numérique ouvert sur son environnement ». Dans une optique de décloisonnement du système de santé à l’hôpital et son rapprochement avec les autres acteurs, le programme HOP’EN (2018-2022) a ajouté un prérequis dans ses exigences par rapport au programme Hôpital Numérique (2012-2017). Il s’agit du prérequis “ Echange et partage” visant l’harmonisation territoriale et régionale des services numériques. En effet, ce programme vise la structuration des données hospitalières pour en faciliter le partage et la simplification du lien entre l’hôpital et ses partenaires via le déploiement et l’usage de services socles [13]. L’objectif est d’amener les établissements à s’informatiser en toute sécurité et tout en gardant en vue l’interopérabilité de leurs SI.
Exemples d’initiatives numériques coordonnant les professionnels autour du parcours du patient
- Plateformes et services gouvernementaux
Afin de permettre une prise en charge globale et sans rupture du patient, plusieurs outils et services de partages de données sont mises en place. L’un des piliers du socle du plan Ma santé 2022 est le Dossier Médical Partagé (DMP). Il s’agit d’un carnet de santé numérique gratuit, non obligatoire, confidentiel et accessible à la fois pour le patient et les professionnels de santé. C’est un service où les professionnels peuvent retrouver la globalité des informations médicales du patient, à titre d’exemple : son historique de soins des 12 derniers mois automatiquement alimenté par l’Assurance Maladie, ses antécédents médicaux, ses comptes rendus d’hospitalisations et ses résultats d’examens [14].
A mi-janvier 2020, 8.6 millions de DMP ont été créés [15]. Certes le DMP gagne de plus en plus en notoriété, néanmoins il n’a pas pu encore être complétement démocratisé. Dans la continuité de son évolution, il sera intégré à L’Espace Numérique de santé (ENS). En effet, l’ENS est une plateforme numérique personnelle et personnalisable qui permettra au patient d’accéder dans un cadre sécurisé aux services numériques développés par des acteurs publics et privés dont “DMP, Ameli, messagerie sécurisée, agenda, outils de télémédecine, portail patient des hôpitaux, applications pour le suivi des maladies chroniques, pour la prévention, objets connectés …” [16].
Pour le transfert des données de santé d’une manière dématérialisée et sécurisée, la Messagerie Sécurisée en santé (MS Santé) va leur permettre d’échanger par voie électronique tout en respectant la vie privée du patient. La MS Santé répondra à l’exigence d’interopérabilité dans la mesure où elle se base sur un référentiel reposant sur les standards de l’internet et de la messagerie [17]. La e-prescription permet également la coordination des professionnels. Elle constitue le trait d’union entre les médecins et les pharmaciens. Le praticien de l’hôpital pourra s’assurer que le patient a reçu le traitement qui lui a été prescrit. Encore faudra-t-il que le modèle des prescriptions hospitalières soit cohérent avec le modèle en ville pour permettre leur délivrance par des pharmacies d’officine [18].
En complément à ces dispositifs, on trouve les services numériques territoriaux de coordination de parcours inscrits dans le programme e-parcours [19]. Ce dernier propose un volet de financement de projets organisationnels et numériques mis en œuvre par les nouvelles organisations territoriales à savoir les collectifs de soins coordonnés (notamment les CPTS…) et les dispositifs d’appui à la coordination. A titre d’exemple, le Grand Est répond à ce programme avec son service e-parcours Parceo, lancé le 23 mars 2021, et qui constituera un bouquet de services pour les professionnels : “cahier de liaison, réseau social professionnel, alertes – permettant de partager en temps réel et en toute sécurité des informations sur le patient.” [20]
- Initiatives mises en place par des sociétés
En plus des services et des plateformes gouvernementales, d’autres initiatives ont émergé pour répondre à la problématique de coordination. Fluidifier le partage d’informations entre les infirmiers et les médecins à l’hôpital est l’un des enjeux à optimiser. AKO@dom est une plateforme qui intervient dans ce cadre pour les patients qui suivent des traitements anti-cancéreux à domicile. Les données transmis, après la visite de l’infirmière, sont consultables par l’oncologue à l’hôpital et l’infirmière de coordination [21]. En plus du partage de données, le professionnel à l’hôpital doit pouvoir solliciter facilement la compétence d’un autre professionnel. Entr’Actes est une application mobile et une plateforme de suivi qui permettent cette fonction. Le professionnel sollicité reçoit une alerte et pourra y répondre pour prendre en charge le patient [22].
La plateformisation est essentielle à la coordination mais elle n’atteindra son but seulement si les plateformes sont construites sous un même cadre d’interopérabilité. Enovacom accompagne les acteurs de la santé dont les hôpitaux pour rendre leur applicatifs interopérables et leurs données de santé accessibles [23].
Conclusion
L’hôpital évolue au sein d’une organisation territoriale complexe qui se caractérise d’une part par une multitude de dispositifs organisationnels et d’une autre part par un retard au niveau de l’interopérabilité des systèmes d’informations. Ainsi, ouvrir les établissements hospitaliers sur le territoire passe inéluctablement par l’unification de ces dispositifs de coordination. Le but est de garantir plus de lisibilité au professionnel sur les initiatives d’organisation au niveau du territoire. Une organisation qui doit être renforcée par un socle de services numériques capables de communiquer entre eux et de mutualiser les données de santé.
En plus de l’enjeu numérique, la coordination des professionnels relève également d’un enjeu de co-construction et de collaboration, et donc d’un enjeu managérial qui permettra à ces acteurs de coopérer et de profiter de cette intelligence collective pour décloisonner l’hôpital. En plus de la garantie d’un parcours de soins sans rupture au patient, cette coordination optimisera sans doute la gestion des flux à l’hôpital et favorisera le maintien à domicile des patients, menant à un désengorgement des hôpitaux.
On s’est intéressé aux outils aptes à intégrer l’hôpital dans son territoire. Néanmoins, la performance à l’hôpital se traduit également par son organisation des soins en interne. Une organisation qui fait face à d’autres défis liés à la mobilité des praticiens, l’automatisation et la digitalisation des processus administratifs et médicaux, la sécurisation des données…
Sources
[1] https://www.gouvernement.fr/partage/12166-segur-de-la-sante-cosnes-cours-sur-loire
[2] https://www.ipsos.com/fr-fr/sante-lappel-des-francais-aux-candidats-la-presidentielle
[3] https://www.ars.sante.fr/quest-ce-quune-agence-regionale-de-sante
[6] https://www.iledefrance.ars.sante.fr/conference-regionale-de-la-sante-et-de-lautonomie-6
[7] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/cno_dac_nov2020.pdf
[8] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dgos_atlas_sih_2018.pdf
[9] https://esante.gouv.fr/sites/default/files/media_entity/documents/ASIP018_4volets_Interop-6.pdf
[10]https://esante.gouv.fr/sites/default/files/media_entity/documents/doctrine_2_3_interoperabilite.pdf
[11] https://esante.gouv.fr/node/3837
[12] https://esante.gouv.fr/actualites/mise-disposition-immediate-du-volet-de-contenu-telemedecine
[13] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dgos_hopen_plan_action_181219_v2.pdf
[14] https://www.dmp.fr/ps/je-decouvre
[15] https://esante.gouv.fr/sites/default/files/media_entity/documents/Doctrine_3_1_dmp_v1.1.pdf.
[16] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/190425_dossier_presse_masante2022_ok.pdf
[17] https://esante.gouv.fr/securite/messageries-de-sante-mssante
[18] https://esante.gouv.fr/sites/default/files/media_entity/documents/doctrine_3_3_e-prescription.pdf, page 4.
[19] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dgos_guide_d_indicateurs_e-parcours_v1.1.pdf
[21] https://www.continuumplus.net/
[22] https://www.entractes.fr/
[23] https://www.enovacom.fr/decouvrez-nos-offres/facilitez-lechange-et-le-partage-entre-acteurs-de-sante