Quand on entend parler de Blockchain et de consommation énergétique, on entend souvent deux discours opposés. D’un côté, le clan de ceux qui crient au gaspillage d’énergie, de l’autre ceux qui préfèrent voir une révolution technologique avant tout. La vérité se cache certainement entre ces deux visions, essayons d’en savoir plus.
Bitcoin : le mauvais élève
Le mécanisme « Proof of Work » (preuve de travail en français) est le premier protocole de consensus de la Blockchain. Sa première application ne concerne cependant pas Bitcoin, qui n’apparaît que bien plus tard, mais un anti-spam utilisé pour les boîtes mails, créé en 1996. L’objectif de ce mécanisme anti-spam était assez simple : n’accepter que des emails dont le destinataire a mis en jeu un peu de puissance de calcul, et donc prouvé du travail (i.e. consommation d’électricité). Cela permet de décourager bon nombre de spammer, pour qui cela devient coûteux d’envoyer plusieurs milliers d’emails.
A l’origine, le mécanisme de preuve de travail utilisé par la Blockchain Bitcoin est issu d’un simple filtre anti-spam.
Aujourd’hui, la Proof of Work est connue comme le principal mécanisme de consensus des Blockchains, en particulier celles de première génération. Son fonctionnement, bien que très sécurisé, n’est pas sans poser certains problèmes de consommation énergétique.
Bien que le calcul de l’énergie consommée par le réseau Bitcoin soit très difficile à réaliser, nous avons aujourd’hui quelques chiffres permettant d’avoir un ordre de grandeur.
Si le réseau Bitcoin était un état, il serait le 53ème plus gros consommateur d’électricité (données sur l’année 2019)
En outre, le minage d’un bloc (de la Blockchain Bitcoin) suffirait à alimenter quatorze foyers américains en électricité pour une journée ; sachant qu’un bloc est miné toutes les dix minutes environ.
Dans l’éventualité d’une croissance de l’utilisation du Bitcoin au cours des prochaines années, cette consommation énergétique inquiète. Cependant, pour appréhender ce genre de chiffre, rappelons que si le gaspillage alimentaire représentait un pays, ce serait le 3ème plus gros consommateur derrière la Chine et les Etats-Unis.
En 2019, 74% de l’électricité utilisée pour le minage de blocs provenait de sources renouvelables.
La particularité de l’activité de minage du Bitcoin, par opposition au minage de l’or, c’est qu’on peut le faire à n’importe quel endroit, tant qu’il y a accès à une source d’énergie et à Internet. Parmi ces 74% provenant de sources renouvelables, une part significative de l’énergie consommée serait perdue, sans cette utilisation pour le minage du Bitcoin. On pense notamment aux nombreuses fermes de minage installées en Islande, qui tirent profits des sources géothermiques, ainsi que celles installées au Canada, consommant le surplus d’électricité généré par les barrages hydroélectriques.
La première version d’une nouvelle technologie comporte son lot d’imperfections, Bitcoin en est l’illustration.
Blockchain de nouvelle génération : la fin du gaspillage énergétique.
Vous l’aurez compris, la consommation d’énergie provient du mécanisme de validation des blocs appelé preuve de travail. Ce mécanisme est ainsi utilisé sur les deux Blockchains les plus importantes du marché que sont Bitcoin et Ethereum.
Le mécanisme « Proof of Work » a fait ses preuves depuis 2008 sur Bitcoin et depuis 2015 sur Ethereum.
Cependant, ce mécanisme nécessite de déployer une puissance de calcul conséquente qui engendre une consommation énergétique très importante. Une étude du site internet digiconomist.com montre qu’une transaction sur Bitcoin est égale à 939 KWh. Bitcoin représenterait ainsi 0,27% de la consommation d’électricité dans le monde. Ethereum n’est pas en reste avec une consommation de 77 KWh par transaction, la blockchain représenterait, quant à elle, près de 0,08% de la consommation mondiale en électricité.
Ethereum permet le développement d’applications décentralisées qui fonctionnent en temps réel sur la Blockchain et offre une multitude de possibilités d’utilisation qui vont bien au-delà d’une crypto-monnaie. Cependant, le problème énergétique reste le même, le mécanisme de consensus étant très proche de celui du Bitcoin.
Après Bitcoin que l’on pourrait définir comme étant la version 1.0 de la technologie Blockchain, Ethereum est considéré comme une version 2.0. Aujourd’hui nous observons l’émergence d’une technologie Blockchain que l’on peut qualifier de 3.0.
Cette génération 3.0 se base sur de nouveaux systèmes de validation des blocs, parmi eux, on peut notamment distinguer les mécanismes de :
- Preuve d’enjeu (Proof of Stake – PoS)
- Preuve d’enjeu déléguée (Delegate Proof of Stake – DPoS)
Ici, ces nouvelles solutions revoient en profondeur le fonctionnement historique des premières Blockchain et son mécanisme de preuve de travail.
La fin du gaspillage énergétique.
Avec la PoS ou la DPoS, plus besoin d’une activité dite de minage pour valider les transactions, plus besoin donc de monter des fermes de minages remplies de processeurs énergivores et spécialisés. Ainsi le déploiement d’une blockchain de type 3.0 ne provoquerait pas d’impact énergétique supérieur au déploiement de n’importe quelle autre technologie.
Ces nouveaux mécanismes de validation des blocs disposent d’une empreinte carbone proche de zéro car aucune puissance de calcul n’est mise en jeu pour valider une transaction.
Dès lors, comment fonctionnent les mécanismes de validation qui permettent l’émergence d’une technologie Blockchain respectueuse de l’environnement ?
Commençons par le mécanisme de la preuve d’enjeu (PoS). L’apparition de cette alternative à la preuve de travail a vu le jour en 2011, puis la première Blockchain qui a utilisé ce mécanisme a été la cryptomonnaie Peercoin en 2012. Le mécanisme de validation des blocs de la preuve d’enjeu repose sur le fait que les nœuds du réseau qui veulent participer à l’émission de nouveaux blocs sur la Blockchain doivent être capable de prouver qu’ils disposent d’un certain nombre de tokens émis sur la Blockchain en question. Ainsi les validateurs sont en nombre limité, pour devenir validateur il est nécessaire de déposer un certain montant de tokens. Ce dépôt servira ensuite de garantie pour la validation des nouveaux blocs, en effet si le validateur des blocs ne suit pas les règles de validation définies dans le protocole, celui-ci s’expose à la perte totale des tokens déposés au préalable, il est ainsi incité à valider les blocs sans tenter de frauder le protocole en place.
Poursuivons avec le mécanisme de preuve d’enjeu déléguée (DPoS). Ce mécanisme de validation des nouveaux blocs est apparu en 2017 avec la Blockchain EOS. Dans ce cas de figure, les validateurs sont choisis par les membres du réseau détenant des tokens. Les validateurs sont le plus souvent élus selon un système de notation de leur réputation afin d’assurer la sécurité des validations. Si un validateur ne suit pas les règles du protocole il ne pourra plus refaire partie des validateurs du réseau. Les validateurs sont donc incités à suivre les règles du protocole de validation défini. De plus que ces derniers reçoivent également une récompense en nouveaux tokens ou en frais de transaction pour chaque nouveau bloc validé.
On observe donc que du point de vue de la consommation énergétique ces deux mécanismes remplacent la preuve de travail et la résolution de la preuve cryptographique très énergivore dans les cas de Bitcoin et d’Ethereum. Aujourd’hui, la preuve d’enjeu déléguée est fortement appréciée par les Blockchains de 3ème génération notamment utilisée par EOS, TEZOS et ARK (qui apparait dans notre radar Wavestone des startups Blockchain françaises). La technologie ARK est notamment utilisée par la startup BC Diploma qui authentifie les diplômes grâce à la technologie Blockchain.
Vous trouverez donc ci-dessous, un tableau récapitulatif des 3 protocoles de validation évoqués précédemment, des Blockchains qui utilisent chaque type de protocole et la consommation énergétique importante associée (Oui/Non).
Bitcoin, Ethereum : les mauvais élèves évoluent pour réduire leur impact écologique.
Avec l’émergence de ces nouvelles Blockchains respectueuses de l’environnement, on pourrait croire les Blockchains de première génération que sont le Bitcoin et Ethereum en déclin, mais ces dernières n’ont pas dit leur dernier mot, loin de là. L’écosystème des blockchains est un écosystème en perpétuelle évolution et qui sait se remettre en question.
En effet, Bitcoin n’est pas figé. Les développeurs de la communauté ont développé un système appelé « Lightning Network » déployé en 2018. Cette évolution a pour objectif d’augmenter la rapidité et le nombre de transactions simultanées que peut supporter le réseau Bitcoin. L’évolution permettra également de réduire l’empreinte carbone de la blockchain numéro un du marché.
Concrètement, comment le Lightning network rend possible une réduction de la consommation énergétique de Bitcoin ?
Cela est permis grâce au développement de ce que l’on appelle des « sidechains », ainsi avec ce système, des chaines parallèles peuvent être ouvertes entre des utilisateurs de Bitcoin. Une fois que la sidechain est ouverte, toutes les transactions effectuées seront stockées dans cette dernière, la transaction viendra s’ancrer sur la chaîne principale (Blockchain Bitcoin) dans un second temps, après une synchronisation. Ainsi, le nombre de transactions réalisées sur la Blockchain principale Bitcoin diminue, pour une capacité de traitement plus importante grâce aux sidechains. Bien entendu, cela ne fait pas disparaitre l’empreinte énergétique de l’activité de minage, cependant le coût énergétique d’une transaction diminue fortement.
Dans le cadre du radar des startups Blockchain française réalisé par Wavestone, nous avons eu l’occasion de rencontrer la startup marseillaise Keeex qui utilise la Blockchain Bitcoin pour authentifier différents types de documents, des documents de relation presse des entreprises aux images permettant d’effectuer le suivi de traçabilité de l’ensemble d’une chaîne de production.
Chaque certification d’un document avec la Blockchain nécessite une consommation énergétique de seulement 1Wh, soit l’équivalent d’un tiers de la consommation énergétique d’un e-mail.
Keeex ambitionne ainsi de devenir la référence dans l’authentification de documents, en somme le nouveau .pdf basé sur la Blockchain et apportant des caractéristiques de sécurité et d’immuabilité. En utilisant une sidechain, le système de Keeex peut ainsi mettre en avant une empreinte carbone très réduite. En effet, chaque certification d’un document nécessite ainsi une consommation énergétique de seulement 1Wh soit l’équivalent d’un tiers de la consommation énergétique d’un e-mail.
Du côté d’Ethereum, la Blockchain créée en 2015 par Vitalik Buterin et qui a introduit le concept de Smart Contract évolue également. Selon les annonces de la communauté et de son fondateur, l’année 2020 devrait marquer un tournant. En effet cette année devrait être l’année du passage à Ethereum 2.0 qui marquerait un changement majeur passant ainsi d’un protocole de preuve de travail à un protocole de preuve d’enjeu. Cela aura pour conséquence de réduire de 99% la consommation énergétique d’Ethereum, un souhait évoqué de longue date par son fondateur. La validation des blocs n’impliquera donc plus de surconsommation d’énergie liée au protocole de preuve de travail, les blocs selon le protocole de preuve d’enjeu seront validés par des mineurs qui mettront en dépôt un nombre important d’Ether (le token émis sur Ethereum) qu’ils risqueraient de perdre s’ils ne suivent pas les règles de validation définies.
2020 devrait être l’année du passage à Ethereum 2.0, réduisant de 99% la consommation énergétique.
Ainsi, la sécurité des transactions sera assurée non pas en consommant un maximum d’énergie mais en mettant en jeu une perte de valeur conséquente pour les mineurs en cas de non-respect du protocole de validation. Si le passage à Ethereum 2.0 est prévu pour Juillet 2020, la communauté a déjà lancé le développement depuis 2014 d’une version test d’Ethereum fonctionnant avec le mécanisme de preuve d’enjeu. Cette version est appelée « Ethereum Casper ».
Ces exemples d’innovation et d’évolution sur Bitcoin et sur Ethereum montrent ainsi que les Blockchains de première génération, que l’on pouvait définir comme de mauvais élèves du point de vue de l’impact écologique, se remettent en question vis-à-vis des nouvelles générations de Blockchain en mettant en place de nouveaux protocoles innovants visant à réduire l’empreinte carbone de la technologie.
Conclusion
La mauvaise réputation de la technologie Blockchain en termes d’impact écologique n’est pas liée à la technologie en elle-même mais plus précisément au protocole de validation des blocs émis sur les Blockchains en question. Le mécanisme de preuve de travail est utilisé sur Bitcoin et Ethereum, qui sont les deux Blockchains qui ont permis de mettre en lumière les points forts de la technologie Blockchain depuis 2008. Ainsi, est apparu un contre-argument de poids face à l’émergence de cette technologie, celui de l’impact écologique important.
Si cet impact semble en effet important, des solutions existent. Elles consistent à mettre en place de nouveaux protocoles de validation des blocs en utilisant notamment la preuve d’enjeu ou la preuve d’enjeu déléguée. Ces protocoles ne consomment que très peu d’énergie. Les Blockchains de 3ème génération que sont EOS, Tezos ou encore Ark ont toutes adopté ce type de protocole.
Enfin, les mauvais élèves Bitcoin et Ethereum innovent eux aussi pour réduire leur empreinte carbone en mettant en place le Lightning Network pour Bitcoin et en organisant le passage d’un protocole de preuve de travail à un protocole de preuve d’enjeu pour Ethereum. Ce qui permettra de réduire l’impact écologique de 99%. Ainsi, technologie Blockchain et développement durable apparaissent aujourd’hui plus que jamais compatibles.
Sources
https://digiconomist.net/bitcoin-energy-consumption
https://www.hellowatt.fr/blog/journee-gaspillage-alimentaire/
https://Digiconomist.net/bitcoin-energy-consumption
https://ecoinfo.cnrs.fr/2020/02/11/consommation-energetique-des-technologies-blockchain/
https://journalducoin.com/blockchain/blockchain-technologie-energivore/
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