Le mercredi 9 mai, Walmart annonçait un rachat de 77% du capital de la licorne indienne spécialisée dans l’e-commerce, Flipkart. Le total de la transaction s’élevant à 16 milliards de dollars, le mastodonte américain de la distribution signait ainsi sa plus grosse acquisition, confirmée le 22 mai par la cession de participation de SoftBank. Une occasion de revenir sur le marché de l’e-commerce en Inde, et d’étudier un peu plus en détails les implications de ce rapprochement.
Flipkart, un first-mover dans l’e-commerce B2C indien
Si on peut discerner quelques premiers balbutiements de l’e-commerce en Inde au début des années 2000, avec notamment Baazee.com qui sera plus tard racheté par eBay, la distribution B2C de biens en ligne s’est réellement popularisée avec l’arrivée de Flipkart le marché. Fondée fin 2007 à Bengalore par deux ingénieurs anciennement employés d’Amazon, l’histoire de Flipkart ressemble sur de nombreux points à celle du géant américain de l’e-retail.
Originellement spécialisé dans la vente de livres en ligne, Flipkart s’est pas à pas diversifié, pour finalement devenir une plateforme d’une richesse sans précédent dans le pays. Prenant ainsi une place de « first-mover », l’entreprise a su bénéficier du contexte très favorables de croissance et structuration du marché au tournant 2010.
Un marché en plein boom
Dès 2010, le marché indien explose. De nouveaux acteurs tels que Snapdeal et son modèle de marketplace, puis Amazon, y font leur entrée, ce qui n’a pour effet que de dynamisant d’autant plus le secteur : en 2009, le marché de l’e-commerce correspondait à un total de $3,8 milliards de dollars; en 2013, il en valait $12,6 milliards. Et depuis, la croissance ne s’est pas arrêtée, bien au contraire. L’Inde est d’ailleurs aujourd’hui un des pays du monde où le secteur enregistre la plus forte croissance. En 2016, le total avait atteint 16 milliards, et les projections valorisent le marché à plus de 52 milliards pour 2022 !
L’Inde est encore aujourd’hui un pays largement dominé par des économies informelles et parallèles, comme l’a mis en lumière le mouvement brutal de démonétisation en 2017. Cela laisse entendre qu’il existe encore d’importants gisements d’opportunités pour développer de nouvelles pratiques de commercialisation. A cela s’ajoute la « révolution smartphone« , à savoir la vitesse sans précédent à laquelle les technologies mobiles pénètrent le pays.
Ainsi, si le marché a connu de belles progressions cette dernière décennie, on peut s’attendre à ce que le boom continue dans les années à venir.
Une lutte menée de front avec Amazon
Mais marché en pleine santé rime souvent avec fortes concurrences. L’e-commerce indien n’y échappe pas et le combat est mené de front entre Flipkart et Amazon.
Dans cette lutte, Amazon dispose d’un côté d’un fort avantage financier, lié à sa super-présence globale. Arrivé sur le marché indien en 2013, le géant du web a rapidement trouvé sa place et est en train de gagner du terrain en ouvrant de plus en plus d’établissements dédiés à la logistique et la livraison, tout en plaçant des moyens incroyables dans ses campagnes de communication et publicité.
De l’autre côté, Flipkart avait dans le passé un avantage lié à son implantation « historique » dans le pays, mais son manque de cashflow lui a valu des difficultés à développer de nouveaux services pour riposter efficacement au mastodonte américain.
Ces dernières années, Amazon a ainsi gagné du terrain, pour finalement arriver à un véritable coude-à-coude : en 2017, Flipkart détenait 31,9% du marché et Amazon 31,1%.
Une acquisition stratégique pour Walmart
Si Amazon avait fait connaître son intérêt pour l’acquisition de Flipkart en faisant également une offre financière pour le rachat, c’est finalement Walmart qui l’a emporté. Ce deal est un pas de géant sur le territoire indien : jusqu’à aujourd’hui, le leader de la distribution n’était que très peu présent dans le pays, avec seulement une vingtaine de magasins à son actif.
Cette acquisition est extrêmement stratégique pour plusieurs raisons. Si Walmart tient encore une position de leader dans le retail, il se voit très fortement concurrencé par des pure players digitaux, Amazon aux premières loges, et ne pourra survivre en restant un acteur majoritairement « physique ». L’acquisition est ainsi une entrée triomphante dans l’e-commerce, et qui plus est, sur un marché prometteur. L’Inde pourrait ainsi devenir pour Walmart un terrain d’expérimentation dans le domaine digital – ou phygital, selon les stratégies qui se dessineront.
Mais au-delà des frontières indiennes, Flipkart est aussi pour Walmart une source clé d’intelligence et de recherche et développement. En prenant cette participation au capital, Walmart va pouvoir bénéficier de deux grands atouts. D’une part, de nombreuses ressources internes de l’e-retailer indien, dont son service de paiement mobile, PhonePe, ses cellules de recherche en intelligence artificielle, data, logistique… Et d’autre part, de partenariats stratégiques que Flipkart a pu tisser au fil des années.
Aujourd’hui, Flipkart travaille en proximité avec des acteurs tels que Tencent et Microsoft, qui pourront apporter à Walmart des expertises techniques pointues, sur lequel le géant pourrait capitaliser dans toutes ses implantations. Microsoft a d’ailleurs déjà réagi positivement à l’annonce du rachat, se disant enjoué à l’idée de pouvoir collaborer avec Flipkart et Walmart pour impulser le futur du retail en Inde, et aider à créer des expériences de commerce toujours plus exceptionnelles.
Des effets collatéraux ?
L’ampleur de cette transaction a placé le secteur de l’e-retail indien sous les projecteurs : celle-ci aura forcément un impact sur le marché et le pays. Mais les avis sont partagés sur la teneur de cet impact.
Pour certains, celle-ci pourrait venir booster de manière positive le secteur « farm-to-fork », encore peu développé dans le pays. En effet, Walmart pourrait apporter à Flipkart d’importantes innovations liées à l’excellence opérationnelle, la gestion des achats, la supply chain et ce notamment dans le secteur de l’alimentation. Aujourd’hui, le commerce en ligne d’alimentation et de produits frais est très peu développé dans le pays : cette nouvelle collaboration pourrait changer la donne. Selon la manière dont le marché évolue, celui-ci pourrait avoir un impact positif en facilitant l’accès à l’alimentation, à un plus grand nombre.
Pour d’autres, l’arrivée de Walmart pourrait avoir des effets désastreux sur le commerce de détail dans le pays. Le développement du commerce en ligne pourrait venir concurrencer les économies locales, aujourd’hui très importantes pour la population, avec de féroces batailles sur les prix. Concurrence d’autant plus décriée qu’entre Amazon et Walmart, plus de 60% du marché de l’e-commerce indien est désormais aux mains des géants américains.