L’agritech au service des petits exploitants : zoom sur 5 pépites d’Afrique subsaharienne

Le digital au service de l’agriculture, ou agritech, est loin de se limiter au marché des exploitations agricoles intensives et tech-savvy des pays développés. Pour vous le prouver, voici 5 exemples de start-ups africaines qui se sont données l’ambitieux objectif d’améliorer les conditions de vie des petits exploitants agricoles du continent africain par le biais de solutions digitales.

Les petits exploitants agricoles : un marché stratégique de bas de pyramide

Pourquoi cibler ce marché en particulier, si l’on considère que la plupart de ces agriculteurs sont situés dans des zones rurales souvent peu accessibles, peu développées, et bénéficiant d’accès limités à internet (environ 29% de la population bénéficie d’un accès internet en juin 2017 sur le continent africain) ?

Tout d’abord parce que ce très large marché est particulièrement stratégique pour assurer le développement économique et la sécurité alimentaire d’un certain nombre de pays africains. Selon un rapport du Secrétariat de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) publié en 2015, les petits exploitants agricoles sont « des acteurs clés dans la recherche d’un modèle de développement agricole plus équitable, plus écologique et plus viable socialement ».

En effet, en Afrique subsaharienne, environ 80% des exploitations agricoles sont de petites tailles (2 hectares ou moins). Le continent compte ainsi environ 45 millions de petites exploitations qui fournissent jusqu’à 80% de la production agricole de certains pays. Un marché stratégique donc, et d’autant plus important que le développement de cette forme d’agriculture est un levier clé pour réduire la sous-alimentation chronique qui touche 22,7% de la population africaine, un chiffre en hausse par rapport à 2015.

Pourtant, ces petites exploitations agricoles font aujourd’hui face à plusieurs barrières, limitant leur accès au marché et donc la possibilité pour les familles exploitantes de vivre décemment de leur activité. Ces barrières sont diverses : isolement géographique, faible productivité des terres, des prix de vente à la ferme bas, un manque d’information et un manque d’accès au crédit, entre autres.

Ce sont justement à ces barrières que plusieurs start-ups africaines ont décidé de s’attaquer. Les cinq exemples détaillés ci-dessous ne sont qu’une sélection choisie parmi des centaines d’initiatives déployées à travers le continent.

Améliorer l’accès au marché :

Un problème récurrent pour les petits exploitants est l’accès au marché. Ils se trouvent fréquemment dans des situations de dépendance vis-à-vis d’intermédiaires assurant la chaine logistique de distribution du produit jusqu’à la vente au consommateur final. Ceux-ci ont tendance à pousser les prix de vente des producteurs à la baisse. C’est le cas par exemple pour les pêcheurs du port de Soumbédioune, à Dakar (Sénégal). Bien que le poisson soit un produit de base dans l’alimentation sénégalaise et que le secteur emploie près de 20% de la population active, les pêcheurs ont du mal à vivre décemment de leur activité. Ils manquent souvent d’informations sur les prix de vente des poissons et sont financièrement étranglés par les intermédiaires, ce qui les mène fréquemment à brader leurs produits sans réaliser de profit, pour éviter les invendus.

La start-up sénégalaise Aywajieune (« je vends du poisson » en wolof) s’est saisie du problème en développant une plateforme de vente en ligne, permettant aux pêcheurs d’entrer directement en contact avec les consommateurs finaux. Le principe est très simple : les pêcheurs prennent en photo leurs produits et les mettent en vente sur la plateforme, en spécifiant un prix au kilo et leur numéro de téléphone. Les acheteurs commandent en ligne les produits, qui peuvent leurs être livrés à domicile par les livreurs Aywajieune. Les paiements sont réalisés en cash, et les recettes de la vente transférées aux vendeurs par paiement mobile. Le service est également adapté aux pêcheurs illettrés, qui peuvent publier leur annonce en passant par un service téléphonique. La plateforme, permettant aux pêcheurs d’augmenter leurs marges et d’élargir leurs débouchés, connait un fort succès : elle s’est développée à d’autres ports de Dakar et sera bientôt disponible aux ports de pêche de Saint-Louis, la deuxième grande ville du pays.

Développer l’accès à l’information :

Les conditions météos, les cours des prix, les évolutions de la demande sur le marché, … Autant d’informations essentielles pour permettre à un agriculteur d’anticiper au mieux sa production et améliorer la productivité de son exploitation. Pourtant, dans de nombreuses petites exploitations agricoles du continent africain, ces informations ne sont pas ou peu accessibles. Pour pallier ce manque, plusieurs start-ups ont développé des solutions adaptées à l’usage d’utilisateurs ayant un faible niveau d’alphabétisation et un accès internet limité.

Farmerline, une start-up ghanéenne lancée en 2013, propose ainsi un service de messagerie vocale disponible dans les différentes langues locales, donnant quotidiennement des alertes de prix, des mises à jour météorologiques et des conseils agricoles. Ce service simple répond à un véritable besoin local. La start-up compte aujourd’hui 100 000 utilisateurs au Ghana et a étendu ses activités à 10 autres pays africains.

La start-up WeFarm, proposant ses services au Kenya, au Pérou et en Uganda, a quant à elle choisi de s’appuyer sur un modèle peer-to-peer pour permettre aux petits exploitants agricoles d’obtenir des réponses aux questions qu’ils se posent au sujet de leur exploitation. Le principe est simple : l’utilisateur pose sa question via SMS sur la plateforme et celle-ci est redirigée vers les utilisateurs dans la région identifiés comme « experts » sur le sujet. Les réponses les plus pertinentes sont filtrées puis envoyées à l’utilisateur, également par SMS, sous une heure environ. Les sujets abordés sont variés : comment traiter des cultures attaquées par un parasite, comment optimiser l’irrigation d’une parcelle, etc. WeFarm est aujourd’hui un des plus larges réseaux de partage d’information entre petits exploitants, avec plus de 240 000 utilisateurs.

Etendre l’accès au crédit :

Améliorer la productivité d’une exploitation agricole demande en général d’investir dans de nouveaux moyens de production. L’accès au crédit, nécessaire pour ce type d’investissement, est cependant très limité sur le continent africain pour le secteur agricole. En effet, si le secteur agricole emploie 65% de la population africaine et génère 23% du PIB du continent, seul 1% des prêts bancaires accordés sont destinés à ce secteur, et ce principalement aux grandes exploitations. De fait, le continent accuse d’un déséquilibre entre une demande de financement culminant à 450 milliards de dollars et une offre limitée à 10 ou 20 milliards de dollars. Les petits exploitants, ayant rarement un compte bancaire, se voient fréquemment refuser des crédits car ils ne peuvent justifier de leur solvabilité auprès des institutions financières.

Pour pallier cette asymétrie d’information, la start-up kenyane Farmdrive se propose d’établir des scores de solvabilité alternatifs et de conseiller les exploitants souhaitant accéder au crédit. Le service se présente sous la forme d’une plateforme en ligne, alimentée par les utilisateurs via SMS. La start-up collecte un certain nombre d’informations sur l’utilisateur, par le biais d’un questionnaire et d’une auto-déclaration des entrées et dépenses de l’exploitant. Ces informations sont croisées avec des données externes (images satellite de l’exploitation, données relatives au cadastre et à la qualité des sols, etc.), afin de générer le score de la solvabilité de l’exploitant. Ces données sont ensuite transférées à plusieurs institutions financières qui sont alors plus à même d’évaluer le risque et proposer une solution de financement adaptée. Fondé en 2014, Farmdrive compte aujourd’hui 3000 utilisateurs au Kenya, dont 400 ont pu obtenir un financement.

Au Nigeria, la start-up FarmCrowdy propose quant à elle une alternative aux institutions financières classiques en se basant sur le modèle du financement participatif. Les exploitations agricoles déposent leur projet sur la plateforme, en détaillant notamment les fonds nécessaires et le ROI attendu, et sont mises en relation avec des particuliers souhaitant financer ces projets. Les projets proposés, allant de la plantation d’un champ de maïs à l’extension d’un élevage de poulets, proposent des ROI de l’ordre de 13 à 25% sur 6 à 12 mois pour les potentiels financeurs, qui peuvent suivre l’évolution du projet sur une plateforme dédiée. La plateforme compte plus de 1500 fermes inscrites et plus de 200 projets financés.

 

Ces 5 exemples illustrent le dynamisme de la jeunesse africaine, tentant de pallier le manque d’infrastructures se faisant le plus ressentir dans les zones rurales. Ce type d’initiative se développe partout sur le continent, ainsi qu’en Asie et Amérique latine, en profitant notamment du fort taux de pénétration du téléphone portable dans ces marchés dits de « bas de pyramide » pour permettre aux petits exploitants de vivre dignement de leur activité.

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