De quoi parlons-nous ?
Le monde se « numérise », développe des conversations planétaires entre des individus qui reprennent toute leur place identitaire, et leur libre arbitre de jugement et de décision. Le monde se transforme à toute vitesse, guidé par des concepts de « tout », « tout de suite », « partout » et de plaisir. Le monde invente et innove dans tous les domaines scientifiques et technologiques à une vitesse vertigineuse.
Le monde entre dans une nouvelle ère de « révolution numérique et technologique », dont nous vivons les premières vagues (l’explosion d’Internet, la montée en puissance actuelle de l’intelligence artificielle et des objets connectés…).
Et cette nouvelle ère est destinée à remplacer notre vieille « révolution industrielle », dont tous les systèmes qui régissent notre vie quotidienne ont aujourd’hui atteint leurs limites de rupture.
Comme à chaque fois tout au long de notre histoire, l’innovation qu’incarne aujourd’hui la « révolution numérique et technologique » est le moyen nécessaire et sans alternative qui permettra à notre écosystème sociétal devenu moribond de renaitre sous une forme mieux adaptée.
Mas nos entreprises sont-elles prêtent à s’adapter à cette nouvelle révolution ?
Il le faudra, au risque de disparaître, et ce, quel que soit leur poids économique actuel.
Quelle sera alors être le modèle des futures entreprises de demain ?
Ce nouveau modèle n’est certainement pas encore totalement dessiné, car il est encore trop jeune. Il s’affinera au fil du temps en se nourrissant des expériences, des réussites et des échecs de chaque entrepreneur. Dans ces conditions, nul ne peut prétendre décrypter de manière certaine l’avenir à un horizon de 10 ans (qui devrait être celui d’une réelle montée en puissance de ce nouveau modèle).
Pour autant, nous pensons que ses grands traits sont déjà posés, et nous vous proposons de les identifier.
Quels sont les principales limites du modèle de nos entreprises actuelles ?
Le modèle de nos entreprises a fortement évolué depuis l’époque du Taylorisme jusqu’à celle du « collaborative product design ».
Nous pouvons essayer de symboliser en quelques schémas (totalement arbitraires et donc discutables, mais là n’est pas l’objet de notre propos) quelques un des mouvements structurant cette évolution, qui se révèle a posteriori être une recherche constante du maintien de la performance économique dans un environnement marchand devenant de plus en plus difficile.
Que remarquons-nous à travers ces illustrations ?
Que toutes les évolutions « tournent en rond », dans un cadre identique, figé, d’une entreprise bâtie sur un modèle hiérarchique du commandement et du management des ressources.
Si nous voulions être caricatural, nous pourrions déclarer que finalement rien n’a changé au sein du modèle des entreprises depuis le début du 20eme siècle.
Et c’est sans doute là que se cache le point de limite de rupture principal de nos entreprises.
Les entreprises de demain devront être à l’image du monde dans lequel elles doivent parfaitement s’intégrer (et qu’elles n’auront plus le pouvoir de diriger).
Si aujourd’hui les entreprises ont compris qu’elles devaient arrêter de construire en vain des stratégies digitales spécifiques, déconnectées de leurs autres processus, et au contraire repenser leur stratégie globale « pour un monde digital », il faudra qu’elle fasse de même pour leurs modes de fonctionnements internes.
Elles devront inévitablement se réinventer totalement sur les 2 composantes structurantes de leur fonctionnement que sont les chaines du commandement et du management des ressources
Pour quelles raisons le management hiérarchique est-il d’un autre temps ?
La structure hiérarchique a été conçue pour transmettre des ordres par voie descendante, voire au mieux des remontées du terrain en voie ascendante, selon un schéma préétabli et clair : « nous décidons, vous exécutez ces décisions ».
Certes, cette structure a des vertus dans un contexte de production de masse où l’entreprise « domine » le consommateur, mais elle présente surtout des limites fortes dans un univers qui nécessite de s’adapter en permanence aux besoins des clients, à la conjoncture, et au contexte multi-facettes d’un environnement en perpétuel changement.
Pour illustrer nos propos, essayons de lister quelques exemples des faiblesses imputables au modèle hiérarchique :
- La guerre des « pouvoirs », entre directions, zones géographiques, domaines de responsabilités ;
- Le « silotage » des domaines d’actions, qui s’oppose à la collaboration transverse ;
- La priorité accordée à l’amitié subjective, ou à l’allégeance aveugle d’un collaborateur, au détriment d’une évaluation impartiale de ses compétences professionnelles et de sa capacité à atteindre des objectifs ;
- L’individualisme « compétitif », destructeur de valeur, des collaborateurs face à l’ascension dans la hiérarchie, à l’opposé de la collaboration et du partage des connaissances, créateurs de valeur ajoutée ;
- La voie privilégiée de la montée en grade par des responsabilités de management, et la dévalorisation de la filière « expertise », potentiellement porteuse de savoirs uniques et différenciateurs vis-à-vis des concurrents ;
- La pression à une soumission arbitraire des collaborateurs, et par suite à la privation de leur réelle liberté d’esprit, de créativité et de prise d’initiative constructive ;
- Le manque de perception par les Directions Générales de la réalité de leur entreprise, voire du monde qui les environne ;
- Le dictat de décisions arbitraires qui portent préjudices au collectif ou même à un simple individu ;
- La démotivation à la longue des meilleures volontés et des meilleures compétences ;
- …
Aujourd’hui, les créations de communautés diverses, les dispositifs de gouvernance « transverse », ou encore la mise en place d’outils collaboratifs et de méthodes « agiles », aussi nécessaires et performants soient-ils, ne sont que des palliatifs à ces limites.
Ils ne peuvent malheureusement que traiter les symptômes des dysfonctionnements et non leurs causes.
D’où viennent ces causes ?
LA cause, préférions nous dire, vient du fait que le management hiérarchique est le système le plus archaïque qui soit pour gouverner nos entreprises.
Il est issu d’autres siècles : ceux des guerres incessantes (depuis la féodalité…) où il était indispensable de disposer d’un dispositif de commandement qui soit une courroie de transmission sans faille, pour transmettre les ordres des généraux jusqu’aux fantassins du front.
Les rôles étaient clairement et pertinemment répartis alors : pour assurer une efficacité guerrière maximale, quelques « commandeurs » (les généraux) réfléchissaient aux tactiques militaires à mettre en œuvre à l’arrière des troupes, tandis que les « exécutants » (les fantassins) devaient réaliser avec la plus grande maitrise de leur art les ordres qu’ils recevaient, sans jamais se poser aucune question ni réfléchir à leurs actes.
Ceci est un modèle de guerre et de conquérant.
C’est donc celui qui a survécu aux autres (?) et qui s’est naturellement imposé lors de l’éclosion de l’ère de « la révolution industrielle », car alors l’objectif des entreprises était simple : conquérir un marché de consommateurs avec une production de masse.
De même que la guerre de « cent ans » s’est achevée parque qu’elle a fini par perdre tout sens, aujourd’hui le modèle de management hiérarchique est fortement questionnable.
Pour quelles raisons ?
Le management hiérarchique n’est potentiellement efficace que dans le contexte de guerre commerciale, au sein d’océans rouges*, engendrés par l’ancienne ère de « la révolution industrielle ».
Par contre, il s’oppose génétiquement à un point fondamental requis par notre nouvelle ère de « la révolution numérique et technologique » : la nécessité absolue d’être en mesure d’innover en permanence, afin de créer de nouveaux et indispensables océans bleus.
* Note : « L’océan rouge » et « l’océan bleu » sont deux métaphores utilisées en marketing afin de décrire deux cas de figure du marché :
- « Océan rouge » : un espace stratégique saturé de concurrents, où la compétition règne et fait couler le « sang » des entreprises (d’où la dénomination rouge)
- « Océan bleu » : un espace stratégique vierge, sans concurrents, lié par exemple à la mise sur le marché de services ou de produits totalement innovants
Les idées forces du futur modèle
Nous avons vu dans la 1ere partie de cet article qu’un modèle hiérarchique du commandement et du management des ressources n’est plus adapté aux enjeux de notre nouvelle ère de « révolution numérique et technologique ».
Avant même d’esquisser les grands principes du futur modèle de fonctionnement de nos entreprises, il nous semble utile de nous questionner sur un point.
Pourquoi le modèle Start-up nous intrigue et nous intéresse tant ?
« Start-up », « Commencement », « Démarrage », « Renaissance » …
Le mot est prémonitoire, mais de quoi au juste ?
Longtemps les Startups furent vues comme les porteuses du développement des technologies Internet, aussitôt reconnues d’ailleurs comme LA nouvelle innovation de rupture que tous attendaient, et qui était synonyme de revenus potentiellement colossaux.
Aujourd’hui, les investisseurs, comme les entreprises d’ailleurs, ont changé leur regard et voient dans les Startup bien plus qu’une source espérée de bénéfices importants. Il suffit d’observer comment elles sont courtisées, invitées à prendre la parole sous tout prétexte, et comment elles sont écoutées comme des porteuses de vérité.
Certes, nombre de ces Startup ne sont que des imitations, opportunistes, et vouées à un probable échec. Mais d’autres, les « vraies » Startups dirons-nous, détiennent apparemment le secret du succès : il suffit pour s’en convaincre de constater comment les GAFA dominent le monde marchand actuel.
Par suite, les entreprises cherchent à les garder près d’elles, à les héberger pour mieux les observer, sous le prétexte parfois fallacieux de les aider à se professionnaliser. En vérité, les entreprises tentent de décoder leur mode de fonctionnement car elles sont maintenant convaincues d’une chose : ce qu’elles voient dans ces Startups est ce qu’elles devront devenir demain.
Mais quel est donc ce « modèle Startup » ?
Il est bien difficile à définir précisément, car il nous semble qu’aucune Startup ne l’incarne parfaitement. Ce modèle est encore en construction, en train de se chercher, de s’essayer…
Quelques traits marquants le caractérisent cependant :
- Le premier d’entre eux est un goût, une audace, une force sans crainte pour l’innovation. Inventer, échouer, réinventer, mieux ou différemment : rien n’arrête la vraie Startup, hormis le manque d’aide financière ;
- Les Startup savent prendre des risques calculés ;
- Les Startups qui réussissent le mieux ont aussi un rare don, porté par leur leader, d’associer à l’innovation un fort pouvoir de « vision », et une capacité certaine à la mettre en œuvre ;
- Autre trait fondamental : la remise en cause profonde de tous les systèmes existants, voire une certaine impertinence à leur égard, afin de libérer une totale capacité de création :
- Les Startup furent les premières à motiver les collaborateurs qui les rejoignaient en leur promettant un partage équitable des potentiels bénéfices. C’était l’idée originelle des « stock-options », bien vite reprise et déformée par le monde financier de nos entreprises traditionnelles. Une idée qui plaçait la motivation du collaborateur et son partage du projet de la Startup au cœur de sa performance individuelle ;
- Elles comprirent très vite, à l’image sans doute de leurs créateurs, que chacun de leur collaborateur avait des capacités propres qui étaient l’énergie vitale dont elles dépendaient : elles se mirent donc à les mettre dans des conditions de « bien-être », sans tricherie, qui leur permettaient de donner le meilleur d’eux-mêmes
- Elles n’ont pas cherché à imposer avec une « hauteur hiérarchique » leurs idées novatrices, voire révolutionnaires. Au contraire, elles ont tout fait pour les faire partager et comprendre, jusqu’à une totale appropriation.
- Les startups sont « monobloc ». Elles soudent les énergies et décuplent la performance par une puissante « vision », des idées novatrices et un projet ambitieux de transformation qui impacte leur environnement.
L’ampleur du changement à mettre en œuvre a de quoi interpeller nos entreprises classiques.
Celles-ci s’empressent donc de jeter un voile pudique sur ces points qui caractérisent les Startup, préférant attribuer leur réussite à la jeunesse de leurs dirigeants et de leurs collaborateurs, plein de vigueur et d’idées.
Si tel était le cas, les GAFA ne devraient déjà plus exister, et Steeve Jobs n’aurait jamais dû être rappelé par Apple pour remettre l’entreprise sur le chemin de la réussite.
Il n’y a aucune échappatoire : le modèle de fonctionnement de nos entreprises est contraint à fortement se transformer.
La suite de cet éclairage sera publiée la semaine prochaine