Au cours des dernières décennies, la quasi-totalité des secteurs d’activité sont un à un entrés dans le champ d’intervention des nouvelles Technologies de l’Information (IT). Banques, industries, transports, services… il n’est plus aujourd’hui possible d’imaginer ces secteurs dissociés du monde de l’IT. Les dernières innovations, à l’image de la voiture intelligente ou du paiement par smartphone, nous rappellent régulièrement la vigueur de ces liens qui unissent le progrès technique et notre vie quotidienne.
À partir des années 2000, la santé s’est à son tour liée au monde de l’IT et promet d’en être le prochain secteur de développement. Le partage de l’information, la révolution digitale et les objets connectés amènent chacun à devoir repenser son rapport à la santé. Simple évolution ou révolution ?
e-santé : l’IT au cœur des salles d’opérations
L’e-santé (eHealth en anglais) reste aujourd’hui encore un terme quelque peu obscur pour le grand public, sous lequel il est aisé de placer des notions bien différentes. Dans son assemblée annuelle de 2005, l’OMS employait le terme de cybersanté et en donnait comme définition : « [cela] consiste à utiliser, selon des modalités sûres et offrant un bon rapport coût/efficacité, les technologies de l’information et de la communication à l’appui de l’action de santé et dans des domaines connexes, dont les services de soins de santé, la surveillance sanitaire, la littérature sanitaire et l’éducation, le savoir et la recherche en matière de santé ».
S’il est malaisé de donner une date précise pour l’apparition d’un nouveau secteur technologique, on pourrait toutefois prendre pour l’e-santé celle de l’opération dite Lindbergh le 7 septembre 2001, qui a abolit la notion de distance en matière chirurgicale.
Ce jour-là, le professeur Jacques Marescaux et son équipe de l’IRCAD (Institut de Recherche contre les Cancers de l’Appareil Digestif) ont réalisé depuis New York l’ablation de la vésicule biliaire d’une patiente située à Strasbourg. La complexité ne résidait pas tant dans les gestes du chirurgien, mais dans l’absolue nécessité de disposer d’une liaison suffisamment fiable et rapide pour manipuler le robot sans risque tout en disposant d’une image temps réel de très haute qualité provenant des caméras placées au plus près de l’intervention.
D’autres avantages sont apparus plus récemment dans le domaine de la chirurgie invasive, via le développement des technologies de modélisation 3D. Lors d’opérations complexes, les chirurgiens se sont toujours vus obligés en amont de répéter soigneusement et méthodiquement chaque geste, chaque étape. Toutefois ils ne pouvaient effectuer cette préparation que via des radios ou autres impressions en 2D. Désormais, de plus en plus de sociétés high-tech se spécialisent dans la modélisation 3D d’organes ou de structures osseuses afin que les chirurgiens puissent avoir en main avant même l’intervention une copie conforme de la zone sur laquelle ils devront intervenir. Scan préalable, impression 3D, répétition des gestes : l’IT est entrée dans les blocs opératoires pour permettre de tester avant de réaliser, et ainsi de limiter le nombre d’imprévus.
m-santé : l’e-santé au quotidien
Mais le changement est peut être encore plus spectaculaire dans la relation que les patients eux-mêmes ont désormais avec la santé. Pendant des siècles, le savoir médical a été réservé aux praticiens, à qui de longues études permettaient de maitriser ce domaine éminemment complexe. Aujourd’hui, le web est entré dans toutes les familles, et avec lui sites ou applications liés à la santé : une étude menée aux États-Unis en 2013 démontrait qu’un tiers de la population utilisait de tels sites pour effectuer des autodiagnostics sur eux-mêmes ou sur des personnes proches. Toutefois, l’utilisation d’Internet comme source de savoir médical a vite posé la problématique de la fiabilité des sources, nécessitant de distinguer les sites sérieux de ceux cherchant à jouer sur la surenchère, ou pire sur de faux diagnostics afin d’inciter les patients à tenter de soi-disant remèdes miracles. Dès les années 90’, des certifications telles le HONcode sont ainsi apparues pour identifier les sites réellement pertinents.
L’avènement des smartphone a poussé l’automédication encore un cran plus loin. Alors qu’un site web, même « 2.0 » se veut essentiellement consultatif et simple source d’informations, les applications disponibles sur les stores mettent en avant leur volonté de guider l’utilisateur au quotidien vers une meilleure santé. Leur nombre se compte désormais par milliers, au point qu’un nouveau terme est apparu au tournant des années 2010, la m-santé (mHealth en anglais), que l’OMS qualifie ainsi : « mHealth is a component of eHealth, [it is] medical and public health practice supported by mobile devices ». Si l’intérêt pour l’utilisateur est indéniable, il importe toutefois de souligner également que de telles applications permettent à leurs éditeurs de récupérer des données en provenance d’un secteur qui jusque-là leur était farouchement fermé : la santé du grand public. Les majors du domaine ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, et il suffit de regarder la liste des premières applications offertes sur l’iwatch pour en trouver plusieurs tournant autour de la santé : Nike+ Running, Green Kitchen, Lifesum etc.
Il est d’ailleurs intéressant d’observer que, sur les smartphones comme sur le web, le déploiement de l’e-santé a suivi deux phases. Après une explosion d’applications, de qualité variable et noyant l’internaute dans un immense flux d’informations, des sites spécialisés souvent gérés par des professionnels sont apparus pour classifier et catégoriser les meilleurs applications. Pour autant, tous les pays ne sont pas égaux en termes d’adoption de ces nouvelles pratiques. Dans son rapport annuel 2015 sur le développement de la m-santé au sein de l’UE, la fondation research2guidance pointait du doigt le retard des pays d’Europe de l’Est par rapport aux pays nordiques, dans lesquels le corps médical est déjà en train de passer la barrière du digital.
Le défi majeur de l’e-santé
Les changements qu’induisent l’e-santé ne peuvent s’assimiler à une simple évolution du secteur, tant ils ont remodelé le rapport que nous entretenons avec notre santé. Désormais acteur et au centre d’une toile d’informations, le patient se retrouve pourtant face au risque de la perte du secret médical. En effet, le revers de la médaille des applications m-santé vient de ce qu’ils peuvent être amenés à collecter : habitudes alimentaires, activité physique, rythme cardiaque ou tension… informations jusque-là conservées au sein de la relation patient/médecin et qui demain menacent de se retrouver dans les entrepôts de données des grands comptes de l’IT.
En France comme ailleurs, les pouvoirs publics se sont saisis du sujet afin d’émettre des recommandations à l’usage du public. Nul doute qu’il s’agira bien là du plus grand défi que devra relever l’e-santé durant la prochaine décennie.