Depuis quelques années, nous pouvons observer chez les grands comptes des changements au niveau de leur stratégie mobile et des déploiements de leurs nouvelles flottes, notamment pour remplacer les flottes BlackBerry considérées comme de plus en plus obsolètes. Alors que BlackBerry était le roi du mobile en entreprise et le meilleur compagnon des cols blancs, que s’est-il passé sur ce marché ainsi que dans les usages des collaborateurs pour que le trône change de locataire ? Petit panorama de l’évolution du marché et du positionnement de BlackBerry dans le milieu professionnel.
Une adaptation tardive à un marché en rapide mutation
Depuis 2005 et l’apparition des premiers smartphones, le marché mobile mondial a subi une transformation importante. Alors que le marché grand public était jusqu’alors dominé par HP (Palm) et BlackBerry, nous constatons à partir de 2007 une prise de pouvoir fulgurante de la part d’iOS puis d’Android, qui dès 2012 cumulaient déjà à eux deux 90% des parts de marché. BlackBerry, qui en 2005 possédait 25 % de parts de marché, chute à environ 5% seulement 7 ans plus tard en 2012.
Le cabinet IDC prévoit une baisse des parts de marché de BlackBerry qui devraient continuer à fondre en tombant à 0,3% en 2018, au détriment de Windows Mobile (anciennement Windows Phone) qui devrait gagner environ 3 points d’ici 2018 avec la sortie de Windows 10 (Mobile) dont le lancement est toujours attendue pour « début 2016« .
La décroissance de BlackBerry s’explique sur deux terrains : un OS mobile qui a mis du temps à se moderniser avec les nouveaux standards du grand public et une concurrence accrue sur le marché entreprise avec l’utilisation croissante d’appareils issus du marché grand public combinés à des solutions EMM (Enterprise Mobility Management : solutions logicielles de gestion de flottes mobiles).
Premièrement, une adoption très tardive du tout tactile et un magasin d’applications très restreint ont empêché BlackBerry de conquérir suffisamment tôt le nouveau marché grand public des smartphones. Même si l’arrivée de BlackBerry OS 10 a permis la compatibilité des applications Android via un émulateur, le manque d’applications natives fait la différence face à iOS et Android, alors que Windows pâtit encore du manque de certaines applications.
Deuxièmement, à une époque où seul BlackBerry était proposé par la DSI en entreprise, une pression forte des VIP pour pouvoir utiliser leur smartphone personnel (désormais iOS ou Android) en BYOD (Bring Your Own Device), a permis à iOS puis Android de franchir les portes de l’entreprise. Cette transformation du marché a conduit à l’émergence des solutions EMM, avec le besoin de connecter des appareils multi-OS, ainsi qu’à l’évolution des OS grand public aux besoins de l’entreprise (protocole de messagerie Microsoft ActiveSync, VPN, certificats…). Certaines entreprises comme AirWatch ou MobileIron ont saisi l’opportunité et ont su créer très tôt des solutions multi-plateformes. BlackBerry, en sortant la version 10 de sa solution EMM BlackBerry Enterprise Service (BES), a permis la compatibilité avec iOS et Android, mais la réaction a été tardive. En contrepartie de cette évolution, BlackBerry a également fait l’erreur de négliger la rétrocompatibilité des terminaux étant sous BlackBerry OS 7 et inférieur. Dès lors, la mise à jour de BES 5 vers BES 10 entraînait l’incompatibilité de flottes entières dans les entreprises. Les grands comptes ont été confrontés à un dilemme entre poursuivre la tendance initiée avec le BYOD en remplaçant les flottes BlackBerry existantes par des smartphones issus du marché grand public ; ou bien reconduire des investissements importants afin de migrer de BES 5 vers BES 10 (entraînant le renouvellement complet de la flotte devenue incompatible) voire BES 12 (qui ramène la compatibilité des anciennes générations de BlackBerry). Face à ces choix et aux difficultés financières de BlackBerry, la majorité des grands comptes ont entrepris il y a 2-3 ans des projets de migration de leur flotte BlackBerry vers iOS et/ou Android qui offrent bien plus d’opportunités en termes d’applications mobiles.
La stratégie de la dernière chance
2013 a été une année charnière dans l’histoire de BlackBerry. L’entreprise canadienne, en difficulté, cherchait à se faire racheter, notamment par le fonds d’investissement Fairfax. Les différentes offres et négociations n’ayant pas abouti, c’est un virage radical qui est pris au mois de novembre : nomination d’un nouveau PDG (John Chen) et définition d’une nouvelle stratégie tournée vers les services aux entreprises.
BlackBerry se focalise donc de plus en plus sur ses services applicatifs et de sécurité, en capitalisant sur la confiance accumulée dans le monde des entreprises. Le rachat de Good Technology en septembre 2015 pour 425 millions de dollars appuie cette volonté et donne une nouvelle dimension à BlackBerry sur le marché des solutions EMM.
Sur la figure 3, nous pouvons voir le positionnement des acteurs du marché EMM selon le cabinet Gartner et l’évolution du marché entre juin 2014 et juin 2015. Le rachat de Good Technology par BlackBerry ayant eu lieu en septembre 2015, il n’est pas reflété sur ces graphiques mais il est possible de deviner à quel point cette opération est importante pour le positionnement de BlackBerry en tant que leader.
Le changement de stratégie passe également par de nouveaux partenariats avec Apple, Google (Android for Work), Samsung (Samsung KNOX) ou encore Windows qui permettent à BES 12 une gestion cross-plateforme des flottes mobiles.
Malgré l’abandon progressif du hardware (dont la production a été transférée à Foxconn notamment pour les appareils bas de gamme), BlackBerry se donne tout de même une dernière chance dans la construction de smartphones, en indiquant un objectif de 5 millions de téléphones vendus en un an sous peine d’abandonner la branche. Et pour ce faire, BlackBerry a lancé en novembre 2015 aux États-Unis et fin décembre en France ce qui peut paraître une hérésie pour certains, mais un nouvel espoir pour d’autres : le BlackBerry Priv, un smartphone tournant sous… Android.
Ce smartphone a donc la particularité de faire tourner l’OS de Google mais il n’était pas pour autant question chez BlackBerry d’hériter des failles de sécurité du droïde. La firme canadienne a donc décidé de sécuriser ce smartphone avec les solutions BlackBerry et tout un panel d’applications natives et compatibles BES 12 qui seront intégrées au Google Play Store.
Une architecture centrale accueillant des clés cryptographiques a également été mise en place pour vérifier l’intégrité de chacun des composants systèmes au démarrage, et les données personnelles sont chiffrées à travers le standard FIPS 140-2. Une application nommée DTEK permet également d’effectuer un scan des applications pour vérifier leurs autorisations d’accès aux données.
L’arrivée de ce smartphone pourrait donc bouleverser les stratégies de mobilité dans les entreprises en réintégrant des téléphones BlackBerry grâce à Android. Le package d’applications pourrait également permettre de donner un coup de fouet à l’adoption ou au maintien de BES en tant qu’EMM. Cependant, le Priv bénéficie d’un certain handicap : son prix. Vendu 750$ aux Etats-Unis et 799€ en France, le prix est plutôt élevé pour un smartphone Android, OS qui présente une diversité d’appareil importante sur toutes les gammes de prix.
Apple possède une légère avance sur le marché entreprise mais est suivie de près par Google et son OS Android. L’adoption d’Android par BlackBerry peut donc être vu comme bénéfique et tout laisse à penser que BlackBerry OS sera abandonné au profit d’Android. Il reste à voir maintenant comment le marché répondra à cette nouvelle offre de BlackBerry, alors que la firme canadienne connaît début février 2016 une nouvelle vague de licenciements…