De nos jours, téléphoner ne signifie plus uniquement composer un numéro sur un téléphone mais cela peut signifier également cliquer sur un bouton pour démarrer une communication à partir de son ordinateur, de sa tablette ou d’une application mobile. La technologie a ici un effet disruptif sur le marché, elle a non seulement fait évoluer les modes d’accès à la téléphonie mais a également fait perdre à ce secteur le statut de chasse gardée des opérateurs. Au cœur d’un secteur économique en perte de vitesse, comment ces derniers réagissent-ils face à l’avancée de ces acteurs du web ?
OTT : qu’est-ce que c’est ?
OTT signifie « Over the Top », et peut également être appelé « service de contournement » en Français, et permet de transporter des flux vidéo, audio ou de données sur Internet sans l’intervention nécessaire d’un opérateur. Cela signifie que les acteurs OTT vont créer de la valeur « par-dessus » le réseau des opérateurs, sans nécessairement leur reverser de contrepartie financière. Cette prouesse technologique a été rendue possible grâce à l’apparition de la VoIP (Voice over IP). Ces acteurs OTT, comme Facebook Messenger, WhatsApp, Viber ou Skype pour les plus connus, ont connu une croissance fulgurante en s’appuyant sur le réseau des opérateurs Télécom pour diffuser leurs contenus. Ces nouveaux acteurs sont la parfaite illustration de l’impact qu’a eu Internet sur de nombreux marchés en créant des situations de niche et en poussant les acteurs à revoir leurs business models.
Les prix abordables, les innovations constantes et la multitude de fonctionnalités proposées par les OTT leur a permis de se développer de manière exponentielle au cours des dernières années. En effet, le marché des OTT, qui représente aujourd’hui 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde, dépassera les 30 milliards de chiffre d’affaires en 2019 selon une étude Juniper Research, cabinet d’étude spécialisé dans le digital et la mobilité. Naturellement, ce type de service a également ses points faibles, ceux-ci concernent notamment la qualité et la disponibilité de service. Service fortement dépendant de la connexion à Internet, qui peut être de mauvaise qualité voire inexistante en mobilité, même si cette problématique a tendance à s’atténuer ces dernières années avec l’extension de la couverture réseau.
Les acteurs OTT illustrent parfaitement les effets produits par la digitalisation de la société, qui va offrir la possibilité à des acteurs innovants de pénétrer le marché et va obliger les acteurs existants à s’adapter en innovant, voire même à remanier complètement leurs business models.
Un impact significatif sur le marché des Télécoms
Cette nouvelle structure de marché a naturellement un effet sur les sources de revenus des opérateurs télécoms, les OTT ayant un impact direct sur la chaine de valeur. Celle-ci se répartit désormais au sein d’un écosystème plus large et plus ouvert qui regroupe les opérateurs, les fabricants de terminaux, les fournisseurs de contenu et les fournisseurs de services OTT. Il y a fort à parier, qu’à terme,les applications de chat remplaceront les services rentables comme le SMS ou encore que la téléphonie en VoIP (Voice over IP) remplacera la téléphonie traditionnelle fonctionnant sur le réseau RTC, contrôlée par l’opérateur. La visiophonie en ligne est également un service qui a tendance à devenir gratuit, malgré le fait que ce soit un service fortement consommateur de bande passante. Les OTT amènent également le marché à beaucoup évoluer car ils ont un fort impact sur les modes de consommation des nouvelles générations, grands utilisateurs de services web. Les besoins et les critères de qualité de ces nouvelles générations concernant de nouveaux services se baseront très probablement sur les fonctionnalités et les avantages proposés par les solutions OTT, qui correspondent aujourd’hui à un mode de consommation facile d’accès, simple d’utilisation et avec un service à la carte. Selon une étude du cabinet de conseil Roland Berger, si les opérateurs continuent d’appliquer leur stratégie actuelle et de fonctionner sur le même business model, ils pourraient perdre 20% de leur chiffre d’affaires. La majeure partie de ces pertes bénéficierait directement aux acteurs OTT. En parallèle, les opérateurs se doivent de réaliser de lourds investissements réseau pour répondre à la demande croissante du marché en termes de capacité, notamment dans la fibre optique, afin de maintenir leurs activités actuelles.
Les opérateurs doivent donc faire face à défi important : repenser leur stratégie et réaliser de nouveaux investissements afin de s’adapter au marché qui évolue tout en faisant face à des coûts de fonctionnement extrêmement élevés sur un marché en plein ralentissement.
Les premières stratégies de réponse des opérateurs
Il est impossible de prédire l’avenir, mais il est certain que les stratégies de réponse des opérateurs reflèteront l’impact de ces acteurs sur le marché des Télécoms. On constate déjà que les opérateurs ont commencé à mettre en place de nouvelles actions afin de faire face à l’arrivée de ces nouveaux acteurs. On peut citer Orange avec son service Libon lancé en 2012 qui est un service « Open chat » permettant de communiquer par chat ou par appels Voix sur IP avec l’ensemble de ses contacts, qu’ils utilisent Libon, WhatsApp, Facebook ou autre. Cette solution, qui concurrence directement les acteurs OTT, est présentée comme une fonctionnalité tout à fait innovante par Orange mais son succès reste difficilement mesurable au vu du peu de communication faite par le groupe autour du service. On peut constater également d’autres mutations sur le marché avec certains opérateurs qui optent pour des partenariats avec des fournisseurs de contenu afin de diversifier leur offre, tel Bouygues Télécom qui propose des services et applications, en plus des forfaits téléphoniques, comme la musique en ligne avec Spotify, la VOD avec CanalPlay ou encore les jeux avec Gameloft. Cependant, ces nouveaux services restent encore à l’heure actuelle une activité subsidiaire pour les opérateurs.
Un autre élément peut également avoir des répercussions sur le marché : le cadre législatif.
En effet, la commission Européenne prône une refonte de la réglementation qui régit le secteur des communications afin de déclarer ces services de communication en tant qu’opérateur Télécom. Les services OTT qui proposent des appels voix seraient alors considérés comme des opérateurs et soumis aux mêmes lois et règlements que ces derniers, ce qui pourrait représenter un frein à leur développement. De plus, les acteurs Télécoms qui pourront s’adapter le plus rapidement aux changements du marché et à l’évolution de la demande, seront ceux qui disposeront de ressources financières conséquentes et d’un positionnement stratégique sur le marché. Le projet de marché unique numérique européen lancé par l’Union Européenne est, en ce sens, un atout car il va permettre d’homogénéiser le marché européen des Télécoms, marché à l’heure actuelle très fragmenté, comparé aux oligopoles peu concurrentiels chinois et américain. Cette future consolidation du marché Européen, même s’il reste encore de nombreuses barrières à franchir, permettra aux acteurs européens des télécoms de rééquilibrer le rapport de force avec les acteurs mondiaux, opérateurs ou pure players du web.
Quelles perspectives pour les opérateurs ?
Une étude réalisée par l’Institut pour le Développement et l’Aménagement des Télécommunications et de l’Économie, évoque 3 scénarios possibles sur une vision à long terme. Le premier scénario présente les opérateurs comme devenant des « commodités », c’est-à-dire qu’ils sont relégués au second rang de la relation client et deviennent de simples « fournisseurs de tuyaux », faute de services à forte valeur ajoutée à destination des utilisateurs finaux. Ce scénario apparait comme l’issue inévitable si les opérateurs jouent la carte de l’immobilisme. Scénario peu prometteur car nous tendons vers un schéma « data illimitée », tant que le réseau fixe que sur le réseau mobile. La seconde configuration possible serait que les opérateurs arrivent à se positionner comme plateforme d’intermédiation pour des services destinés à des fournisseurs de services pour le grand public ou les professionnels : CDN, cloud, authentification, facturation déléguée, localisation, ciblage publicitaire… Même si ce scénario semble être l’un des plus accessibles car il ne nécessite pas d’investissements colossaux mais un positionnement et des investissements intelligents, il semble être difficilement applicable dans la réalité car les acteurs du Web préfèrent généralement être indépendants sur ce type de services. Enfin, le troisième scénario évoqué est celui de la « boutique numérique ». C’est-à-dire que les opérateurs arrivent à se placer en tant que distributeurs de services à valeur ajoutée produits par des tiers, et préservent une bonne capacité à générer des marges autour de cette distribution. Dans ce scénario, les opérateurs arrivent à capter de la valeur sur des marchés verticaux comme le divertissement, la santé, la finance ou les « villes intelligentes ». Cependant cela nécessite que le marché soit fortement concentré, donc que les acteurs soient moins nombreux mais plus puissants. Ce scénario semble s’adapter à une vision à plus long terme car il implique des actions de convergence entre opérateurs mais il implique également l’évolution de leur business model. Il parait, à l’heure actuelle, difficilement réalisable, particulièrement sur des marchés fortement encadrés et régulés comme les secteurs de la santé ou la finance. La pression législative et concurrentielle forte au sein de ces secteurs d’activité découragent les acteurs à lancer de nouveaux services ou les obligent à les lancer sur des secteurs et territoires plus accessibles. On peut citer Orange qui a lancé son service de transfert électronique d’argent Orange Money sur le continent Africain avant de le lancer sur le territoire Européen, bien plus contraignant d’un point de vue législatif.
De manière naturelle, les opérateurs doivent donc innover, même si leur structure peu agile, contrairement à un modèle start-up, peut limiter leur potentiel d’innovation. A l’heure actuelle, l’évolution du marché ne signifie pas que les OTT remplaceront les opérateurs. Ces derniers vont donc devoir repenser leur stratégie et être capables de proposer des offres plus adaptées aux besoins de leurs clients qui ne cessent d’évoluer. Le schéma d’une offre de masse avec une segmentation peu affinée qui correspondait aux besoins du marché hier, ne sera certainement plus pertinente demain.
Analyse très intéressante sur les marchés à l’échelle locale Vs mondiale entre les opérateurs investissant localement et les plateforme OTT qui empochent des plus valus énormes sans rien reverser. Une autre problématique non moindre qui ne ressort pas très bien, la régulation des marchés car effectivement les problématiques soulevées nécessitent de nouvelles mécanismes pour les résoudre. Dorénavant, ce sont les besoins des usagers/consommateurs qui drivent les besoins en matière d’investissement pour une disponibilité/mobilité et une qualité de services.