La plupart des études sur l’internet des objets (IoT) mettent en avant le nombre faramineux d’objets qui seront connectés d’ici 2030 mais il est peu souligné que la plupart de ces objets seront utilisés par le secteur industriel. Ce dernier est constitué de réseaux ayant des problématiques bien particulières et souvent peu connues du grand public. Nous allons présenter dans cet article les enjeux des réseaux industriels et les impacts que peuvent avoir les nouvelles offres IoT sur ces derniers.
Qu’est-ce qu’un réseau industriel ?
Le système d’information industriel est composé de machines de production reliées à des capteurs de mesure qui émettent des données sur les volumes de gaz, d’eau ou d’électricité par exemple. Ces données sont ensuite transmises au système central qui les récupère, les communique à la partie tertiaire pour les traiter. Dans notre exemple le comptable va facturer le gaz, l’eau ou l’électricité consommée aux clients. C’est ce qu’on les échanges Machine to Machine (M2M). Ils permettent d’assurer la maintenance des machines ou même l’optimisation du processus de production.
La partie réseau industriel que nous considérons dans cet article ne comprend que le réseau de transport de données entre les capteurs installés sur les machines et le système central. Ces réseaux peuvent être câblés en fibre optique ou cuivre mais peuvent aussi communiquer dans les airs par ondes radios. Il existe deux types de besoins liés aux réseaux industriels : les besoins critiques et les besoins standards. Les premiers peuvent nécessiter une communication en temps réel ou sans perte de données ou très sécurisée et dans ce cas ce sont les technologies filaires (WAN MPLS par exemple) qui répondent le mieux à ce besoin. Dans le cas des besoins standards, les volumes de données sont variables selon l’activité mais la remontée d’information doit être régulière. Plusieurs technologies de transport de données répondent actuellement telles que les réseaux cellulaires 2G/3G/4G.
Dans le cadre de cet article, nous ne nous intéresserons qu’aux besoins standards auxquels les nouvelles technologies de transports de données IoT sans fils peuvent répondre.
Pourquoi de nouvelles solutions ?
Les autorités européennes et les consommateurs poussent les acteurs industriels à plus de transparence afin de mieux réguler les différents secteurs et vérifier que les contrats sont bien respectés. Les industriels cherchent aussi à augmenter le nombre d’objets connectés pour sophistiquer leur offre de services et obtenir un avantage concurrentiel en proposant plus d’information à leurs clients. Les technologies de transport de données qui existent actuellement dans les réseaux industriels traitent bien les besoins standards de grands volumes de données mais sont souvent compliquées à installer, relativement coûteuses et consommatrices d’énergie pour les usages bas débits. De nouveaux acteurs se positionnent donc sur ce marché et semblent proposer des solutions différentes.
Les LTN (Low Throughput Networks) ou réseaux à faibles débits sont définis par l’ETSI (European Télécommunications Standards Institute) comme des réseaux étendus sans fils ayant la capacité de transporter des données sur de longues distances (40km sur un espace sans obstacle) et de communiquer avec des équipements souterrains en consommant une énergie minimale. Cette technologie repose sur la transmission de données dans les airs par faisceaux hertziens sur les bandes ISM 868Mhz (fréquence libre de droit), ce qui est particulièrement bien adaptée aux usages des réseaux M2M.
Les technologies radio fonctionnent sur la bande ISM. Elles sont utilisées depuis plusieurs années à échelle moyenne (ville), notamment chez Veolia avec Homerider, ou d’autres acteurs industriels. Cependant, ces solutions étaient plutôt utilisées pour des usages spécifiques à l’entreprise l’ayant développée. Nous assistons à une vraie rupture dans ce secteur avec l’émergence d’acteurs comme Sigfox et LoRa. Ces derniers tentent de rallier le plus de constructeurs, d’intégrateurs, de fournisseurs de solutions et d’industriels autour de leur protocole ou de leur réseau pour l’’imposer comme un standard mondial.
Sigfox fut la première startup française à se positionner sur le marché en 2009 en tant qu’opérateur de réseau en compétition avec des réseaux télécoms déjà présents sur le marché. Sigfox a couvert 80% du territoire français avec seulement 1500 antennes (contre environ 8000 antennes pour le réseau de Bouygues Télécom par exemple) et bénéficie de nombreux partenariats avec des opérateurs à l’international pour déployer son réseau. Cependant, en France les opérateurs télécoms ont choisi la solution concurrente crée en 2015 au CES de Las Vegas : l’alliance LoRa. Pourquoi ? Parce que cette dernière se base sur une technologie d’étalement de spectre plus puissante issue du rachat de Cycléo (start-up française) par Semtech (constructeur de semi-conducteur américain) et qu’elle fournit un protocole que les opérateurs peuvent déployer eux-mêmes. À la différence de Sigfox, il va donc exister plusieurs réseaux LoRa pouvant collaborer (ou pas) mais pour l’utiliser il faut acheter les capteurs équipés de puces Semtech ou de partenaires sous licence.
Et ça change quoi ?
Du côté des industriels ces solutions sont encore en phase de test mais les investissements sont importants à l’image des 100 millions d’euros récoltés par Sigfox en 2015. Le Groupe ENGIE a créé une filiale ENGIE M2M visant à déployer et à opérer le réseau Sigfox en Belgique. Une de ses filiales, COFELY Services, a commencé à déployer dans ses installations, en pilote, des capteurs pour effectuer la gestion et la maintenance de bâtiments. Si l’ essai est concluant, le pilote se généralisera massivement à d’autres filiales du Groupe ENGIE . D’autres grands-comptes tel que la SNCF testent actuellement des solutions exploitant le réseau Sigfox.
La solution LoRa a été déployée chez Habitat Toulouse en partenariat avec Actility et CSTB dans 200 logements avec plus de 1000 capteurs pour mesurer et optimiser la consommation énergétique de ses habitants. Un grand nombre d’acteurs industriels ont rejoint l’alliance, à l’image de Sagemcom qui fabrique les compteurs Linky pour ErDF et Gaspar pour GrDF. Cela pourrait faciliter le basculement de ses clients vers une solution LoRa. Néanmoins la technologie LoRa ne se déploie pour le moment que chez les clients capables d’opérer eux-mêmes leurs capteurs et stations de base car les réseaux « publics » de l’alliance LoRa (Bouygues Télécom, Orange…) n’existeront pas avant mi-2016.
Grâce aux solutions LTN il est désormais possible de multiplier les points de mesure et de répondre au besoin de transparence pour les régulateurs et clients à moindre coût. D’autre part, l’émergence de solutions cloud permet aux métiers d’entreprises industrielles comme COFELY Services, la SNCF ou encore EDF de déployer ces solutions sans passer par la DSI. Il existe néanmoins de nombreuses limites à l’ascension des LTN : les volumes de données transmis sont limités et ne s’appliquent pas à tous les cas d’usages, la couverture offerte est encore difficile à définir (notamment en sous-sol). De plus, des coûts cachés existent : applications à développer pour traiter les données brutes, infrastructures de stockage de données (serveurs), coûts de remplacement et de maintenance des capteurs et du personnel associé…
Du fait de la nouveauté de ces solutions, il existe pour le moment peu de retour d’expérience complet sur ces technologies. Certaines offres associées sont encore en construction mais les entreprises industrielles investissent en utilisant la méthode du test & learn à l’image d’ENGIE et de la SNCF. Et si les solutions LTN s’avèrent à la hauteur de l’engouements qu’elles suscitent, il est fort probable qu’elles soient massivement adoptées à horizon 5 ans.