Comment le digital révolutionne le métier du journaliste (2/2)

Après avoir observé comment le digital a bouleversé le paysage médiatique, intéressons-nous aux impacts qui concernent directement le journaliste.

The facts man, just the facts

Suite à l’évolution des supports, liée aux avancées technologiques et aux mutations profondes subies par le secteur, l’audience, elle aussi, a changé. Du fait de la tendance du public à demander une information toujours plus rapidement et toujours plus facile à comprendre, le journaliste évolue dans sa manière d’écrire. Il est par la même occasion en train de perdre l’une de ses fonctions premières : expliquer. Il y a de cela quelques années, tout le monde voulait comprendre, mais aujourd’hui l’audience veut savoir. Logiquement, le journaliste n’a plus besoin d’être éclaireur, il doit seulement être énonciateur. Il peut dès lors se contenter de pointer du doigt les faits et n’a plus nécessairement besoin de jeter un éclairage complet sur les ramifications complexes de ce qu’il présente. C’est entre autres pour cette raison que les envoyés spéciaux à l’étranger se font de plus en plus rares. Ils ne sont plus toujours jugés indispensables car, en forçant un peu le trait, on peut estimer qu’un bon Community Manager assurant une veille efficace depuis Paris peut être bien plus précieux en termes de récolte d’informations qu’un reporter sur le terrain.

Les conséquences de cet engrenage pourraient être plus graves encore pour les journalistes. En effet, sur Twitter, les algorithmes gagnent chaque jour en intelligence et fabriquent du contenu de haute qualité. Il est désormais très difficile de faire la différence entre un compte géré par un humain et un compte-robot. Partant de là, on peut très bien imaginer que les journalistes de demain soient en réalité des ordinateurs équipés d’algorithmes et d’intelligence artificielle ultra efficace…

Si cette vision peut paraître pessimiste, elle n’en est pas moins réaliste tant l’arrivée d’Internet a profondément transformé l’audience. Le désir d’instantanéité est aujourd’hui tellement fort qu’il balaye tout sur son passage. Ce qui intéresse aujourd’hui c’est de connaitre les conséquences et donc les faits, parfois au détriment de l’analyse des causes profondes. « The facts man, just the facts », comme dirait Joe Friday, est devenu un mantra pour les journalistes.

Conséquemment, le journaliste perd peu à peu son rôle de démagogue pour se concentrer uniquement sur sa fonction informative.

Soigner la forme

C'est grâce à des infographies claires que le Figaro se démarque sur le web
C’est grâce à des infographies claires que le Figaro se démarque sur le web

Aujourd’hui, s’il veut survivre, le journaliste doit changer : l’amélioration à l’extrême de la forme n’est plus un choix, tant la concurrence est rude. Le site du Figaro a par exemple bien compris cette problématique. C’est en effet grâce à des infographies ultra claires que le site tire son épingle du jeu sur le marché des quotidiens en ligne. Le journaliste n’a donc pas de choix à faire entre informer ou améliorer la forme, il doit donc continuer d’informer tout en améliorant la forme au maximum. Les standards du design, les formats interactifs sont à l’honneur. C’est tout simplement de l’adaptation au monde digitalisé d’aujourd’hui.

Pour Arnaud Vincenti infographiste à France 2, les solutions d’adaptation sont nombreuses : séquence en réalité augmentée, organigrammes avec mouvements, environnement 3D, studios virtuels, infographies à 360 degrés, etc… « Que ce soit à la télé, sur papier ou sur Internet, les possibilités sont très nombreuses », précise l’infographiste.

L’importance du Big Data

Le Big Data, autrement dit l’énorme flux de données récoltées est considéré par beaucoup d’entreprises comme le pétrole de demain. Et si le monde des assurances, de la téléphonie mobile ou encore des énergies pourraient être révolutionnés par leur utilisation, il en va de même pour le journalisme. Arnaud Vincenti confirme cette tendance : « Aujourd’hui, nous recherchons des journalistes qui vont aller chercher le Big Data. Des personnes capables de savoir où chercher mais aussi de savoir comment exploiter ces montagnes de données. Ces personnes doivent non seulement être à même de comprendre le Big Data mais elles doivent aussi être en mesure de le faire comprendre au public, ce qui est souvent très complexe. »

Par définition, les ressources collectées via une stratégie axée sur le Big Data ne sont pas aisées à interpréter. Aussi, afin d’être en capacité d’exploiter efficacement les données disponibles et de présenter de belles infographies, le journaliste doit aujourd’hui acquérir de nombreuses compétences dont ses ainés se sont toujours passés. Ce qui nous amène logiquement à la question de la formation des journalistes.

Des mutations nécessaires en amont

op
Crédit @DauphinéLibéré

La formation des journalistes doit évoluer afin de répondre aux changements qui touchent actuellement la profession et le changement doit d’abord s’opérer dans la formation donnée aux journalistes. Les jeunes doivent maintenant connaître les bases de la communication : Community Management, design, infographies, vidéos, sons, etc… C’est devenu une nouvelle base dans le métier de journaliste. À défaut, l’absence de maîtrise des outils de création peut s’avérer être un gros handicap pour un futur journaliste.

Par exemple, la Une de l’un des numéros d’avril 2014 Dauphiné Libéré réalisée au lendemain du tremblement de terre qui a touché le sud-est de la France, a largement été moquée sur la toile.

Quand le journaliste devient acteur

En parallèle de compétences techniques à acquérir, le journaliste doit également pouvoir compter sur un talent nouveau : celui d’acteur. C’est en tout cas ce que pense Arnaud Vincenti : « À la télévision, lorsque l’on diffuse une infographie animée, le journaliste doit parler de quelque chose qu’il ne voit pas. Lui ne voit seulement qu’écran vide; Mais le spectateur quant à lui voit. Il voit l’animation bien sûr, mais aussi le journaliste qui ne voit pas. Le journaliste doit alors jouer le jeu en adoptant la posture d’un acteur ».

Une posture pas forcément évidente à incarner mais qui a un objectif précis : créer l’illusion. « Le spectateur doit voir le spectacle mais pas la technologie, explique l’infographiste de FR2. Le but est de faire comprendre et surtout donner l’envie de comprendre. Quelque part c’est ça la magie de la télévision. Et pour que l’alchimie se fasse, le rôle du journaliste est primordial. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *