Ce week-end sur le magnifique domaine de Chambord se tenait la seconde édition de l’Échappée Volée. Cette année l’événement a abordé les défis de la Renaissance Digitale en proposant d’un côté une série de courtes conférences très proches de TEDtalk (qui fait d’ailleurs partie des sponsors), et de l’autre, une sélection de start-ups qui présentent leurs projets innovants dans un vaste salon à l’intérieur même du château.
Suite de notre série d’articles sur l’Echappée Volée 2015. Retrouvez la première partie en suivant ce lien.
Tristan Nitot – Reprenons le contrôle de nos données personnelles
Tristan Nitot est fondateur de Mozilla Europe, membre du Conseil national du numérique et a récemment rejoint la start-up Cozy Cloud
Des réseaux sociaux au cloud en passant par Google Maps, tout le monde s’imagine aujourd’hui profiter de ces nouveaux outils complètement gratuitement. Et ils ont tort: Tristan Nitot rappelle l’adage: « Si c’est gratuit, c’est nous le produit ».
Les données sont le pétrole du XXIè siècle, et les gens alimentent en abondance les géants du Web qui vivent grâce à ces données. Quand des milliards d’individus centralisent toutes leurs données personnelles chez une demi-douzaine de multinationales comme Google, Facebook, Yahoo ou Apple, alors il ne reste plus aux Etats qu’à espionner les systèmes de ces quelques entreprises pour garder un oeil sur l’intégralité de la population mondiale connectée. Ainsi, l’abandon de nos informations personnelles à cette poignée d’acteurs rend tout simplement possible l’espionnage de masse.
La solution n’est pas forcément la déconnexion, mais plutôt la reprise de contrôle sur nos données personnelles par quatre vecteurs majeurs :
- Accepter de redevenir client : abandonner ses données pourrait s’avérer finalement plus « coûteux » que de se résigner à payer un service en en conservant le contrôle. Après calcul, s’il était facturé à l’utilisateur, un compte Facebook couterait 5€/an, faible somme face aux milliards de dollars que la firme génère en ponctionnant nos données personnelles.
- Contrôler son matériel et ses solutions (= Open source). Il existe par exemple des solutions Open source pour posséder son propre cloud.
- Posséder un accès sécurisé et crypté à Internet: de plus en plus de solutions sont accessibles facilement.
- Encourager les solutions Open source à développer des ergonomies avancées, pour que ces solutions ne soient plus adoptées uniquement par les férus d’informatique, mais à la portée de tous.
Face à ces géants du Web, des alternatives existent. Il y a quelques années, le projet Mozilla a réussi contre toute attente à bousculer l’hégémonie d’Internet Explorer. Demain, il ne tient qu’à nous de soutenir les nouveaux outsiders, et faire basculer le rapport de force sur le Web en faveur des individus.
Paul Duan – Sauver des vies avec le Big Data
Paul Duan est le fondateur de l’ONG Bayes Impact, qui soutient les gouvernements dans la résolution des problèmes critiques de société grâce au Big data et aux algorithmes de traitement de la donnée
Au croisement des mathématiques, de l’informatique et de la recherche opérationnelle, le Big Data tel qu’on le connaît aujourd’hui permet de concevoir des algorithmes capables d’analyser un nombre énorme de données pour prendre des décisions basées sur l’expérience et l’analyse.
Ces algorithmes sont aujourd’hui surtout utilisés à des fins lucratives, notamment par la finance, ou par les grandes entreprises du Web comme Amazon, Youtube ou Netflix. Pourtant, le Big Data pourrait être appliqué à nos collectivités pour les aider à résoudre de grandes problématiques de société. Par exemple :
- Uber dispose d’algorithmes permettant de savoir exactement comment répartir sa flotte de voitures avec chauffeur sur un territoire donné pour maximiser son efficacité, et bien sûr ses revenus. Si l’on appliquait une modélisation algorithmique similaire aux véhicules de secours, cela permettrait de déployer ces dernières de manière statistiquement optimale, et in fine, sauver des vies. Un tel projet est déjà en cours d’implémentation pour les ambulances à San Francisco.
- Les sites de rencontre comme Tinder ou Meetic utilisent des algorithmes permettant d’optimiser les chances de correspondance des âmes en mal d’amour. Appliqué par Pôle Emploi, ce type d’algorithmes permettrait de maximiser les chances de faire correspondre employeurs et personnes en recherche d’emploi.
Santé, système carcéral, justice … on peut multiplier les exemples, et se rendre rapidement compte que les enjeux humains et financiers sont énormes. Il est possible de « faire le bien à grande échelle avec le Big Data », à condition d’avoir les bonnes données et les bons cerveaux pour les interpréter.
Depuis la Silicon Valley, enfermés dans leur bulle de technologie et d’abstraction, les plus grands spécialistes de ce monde ont du mal à se figurer les problématiques humaines, politiques et opérationnelles du « monde réel ». Pour mettre en application leurs connaissances, les experts du Big Data ont besoin de collaborer avec les institutions, collectivités ou toute autre entité qui possède la connaissance du terrain.
Evidemment, ces dispositifs permettant de récupérer autant d’informations impliquent une vraie responsabilité et la nécessité d’être transparent pour le citoyen.
Hugo Mercier & Quentin Soulet – Les neurotechnologies au service du sommeil
Hugo Mercier & Quentin Soulet, étudiants à Polytechnique, sont à la tête de la start-up Dreem qui mise sur les neurotechnologies et les objets connectés pour améliorer le sommeil.
Dans les pays industrialisés, les adultes dorment en moyenne une heure de moins qu’il y a dix ans. En plus de se raccourcir, le temps de sommeil voit également sa qualité se dégrader, phénomène suffisamment grave pour que l’OMS qualifie la dégradation du sommeil d’épidémie mondiale.
Les différents cycles de sommeil ont chacun leur utilité : le sommeil profond permet de régénérer les cellules du cerveau, le rêve permet de consolider l’apprentissage physique, etc. Le sommeil de mauvaise qualité se traduit par une rupture de ces cycles, parsemé de micro-réveils de plus en plus fréquents. La multiplication des écrans, les nuisances sonores, le stress au travail, la malbouffe ou les psychotropes sont autant de causes bien connues pour expliquer cette dégradation du sommeil. Et les conséquences, moins connues, peuvent être gravissimes (obésité, prédisposition aux maladies neuro-dégénératives, diminution de la masse cérébrale, etc).
Pour pallier ce problème, Dreem a mis au point un bandeau connecté pour le grand public, qui permet détecter les cycles de sommeil, de jouer sur les rythmes cérébraux par un système de micro-vibrations afin de favoriser le sommeil profond, et d’optimiser ainsi le temps de sommeil.
Xavier Duportet – Quand les nano-robots remplacent les antibiotiques
Xavier Duportet est docteur en biologie synthétique et diplômé du MIT, fondateur d’Eligo Bioscience
Quelle que soit sa taille, un robot est toujours constitué de deux éléments : un hardware (son enveloppe physique) et un software (son programme). De la même façon, une bactérie ou n’importe quel autre micro-organisme, est également constitué d’une enveloppe (faite de protéines), et d’un « programme », son ADN.
Partant de cette analogie, le Docteur Xavier Duportet nous a présenté le premier nano-robot biologique, fabriqué avec une enveloppe organique et un ADN réécrit et reprogrammable. L’idée : sauver des vies en utilisant ces robots biologiques pour prendre soin de notre micro-biome, ces quelque 10 milliards de bactéries qui vivent dans et sur notre corps.
Ce micro-biome nous est indispensable pour vivre normalement. Cependant, lorsque notre corps est contaminé par des agents pathogènes, nous avons tendance à utiliser une médication (notamment les antibiotiques) qui tuent tous ces micro-organismes sans faire de distinction. D’un coté, l’équilibre du micro-biome en est fortement perturbé, et de l’autre, les bactéries pathogènes deviennent de plus en plus résistantes aux antibiotiques que l’on utilise à tort et à travers. D’après l’OMS (encore elle), les bactéries resistantes ou multirésistantes pourraient être responsables de 10 millions de morts par an d’ici 2050.
Les nano-robots Eligo permettraient de trouver une alternative aux antibiotiques. Une fois ingérés, ces organismes artificiels seraient capables de « scanner » les bactéries, bonnes ou mauvaises, présentes dans l’organisme à l’aide de « ciseaux moléculaires ». Ces derniers sont une sorte d’enzyme capable de lire et découper l’ADN. Si un intrus est repéré, le nano-robot biologique pourra modifier le code génétique de ces micro-organismes pathogènes, pour qu’ils s’autodétruisent. Cette médication du futur permettrait de soigner les patients avec un traitement ultra ciblé, en effectuant des frappes plus que chirurgicales au niveau cellulaire.
Eligo a déjà été testé sur des souris infectées par des staphylocoques dorés, souche très résistante aux antibiotiques et responsable de nombreux décès chez les hommes, et a réussi à guérir les animaux infectés. In fine, ces nano-robots seront également programmables pour traquer et détruire les micro-organismes responsables de l’acné … ou des odeurs corporelles!
Vous en avez assez ? Nous non plus! Retrouvez la troisième et dernière partie de notre série d’éclairages sur l’Echappée Volée très bientôt. Un aperçu ? Des lampadaires bioluminescents, une excellente idée pour permettre aux sourds de téléphoner, ou encore une application pour ressusciter le goût à la démocratie dans notre pays.
Bonjour,
Merci pour cet article!
Toutefois, pourriez-vous corriger une petite erreur qui peut porter à confusion?
A propos d’Eligo, vous dites: « Ces derniers sont une sorte d’enzyme capable de lire, modifier et réparer l’ADN. Si un intrus est repéré, le nano-robot biologique pourra modifier le code génétique de ces micro-organismes pathogènes, pour qu’ils s’autodétruisent. »
=> modifier et Découper l’ADN, pas le modifier! Le nano robot ne modifiera en aucun cas le code génétique des bactéries, il le découpera et les bactéries ne pourront le réparer, ce qui les fera s’autodétruire de façon automatique.
Bien cordialement,
Xavier