Jeux mobiles : un secteur qui explose, une guerre financière qui fait rage

Candy Crush, Clash of Clans, Angry Birds, Farmville… autant de noms familiers à nos oreilles. Mais si aligner les bonbons ou propulser des oiseaux avec un lance-pierre peut sembler un loisir enfantin, cet aspect sympathique dissimule une guerre économique intense entre les développeurs de jeux. Au centre de la bataille : les joueurs. Comment les faire installer un jeu, les garder intéressés, et surtout réussir à leur faire sortir le portefeuille ? En la matière, les éditeurs rivalisent de créativité, mais surtout, d’investissements.

Le jeu sur mobiles, une tendance de fond…

Depuis les années 2010, en seulement quelques années, les jeux sur Facebook puis sur appareils mobiles sont devenus une part de plus en plus importante de notre paysage quotidien. À tel point que, aujourd’hui, 40% des français déclarent jouer sur leurs téléphones, ce qui représente 73% des utilisateurs de smartphones !

Et si quelques jeux, dont ceux cités plus haut, semblent être tout particulièrement populaires, ce n’est nullement par manque de diversité. L’Apple Store seul contiendrait en effet plus de trois-cent-mille jeux.

… et une industrie qui se porte bien

Les développeurs se ruent vers les applications mobiles. Et ce n’est pas très surprenant quand on sait que le seul Candy Crush a rapporté pas moins de 1,88 milliard de dollars à ses créateurs l’année dernière. Les éditeurs sont donc toujours plus nombreux à vouloir une part du gâteau du marché des jeux mobiles, qui s’est élevé à plus de 20 milliards de dollars pour l’année 2014, et qui devrait continuer à croître les prochaines années.

Le plus surprenant derrière ces chiffres, c’est que l’immense majorité des jeux à grand succès sont gratuits.

Enfin, leur téléchargement est gratuit en tout cas.

Et c’est d’ailleurs ce qui explique leur grande popularité. En effet, avec pour seul coût d’entrée le temps de téléchargement du jeu, les utilisateurs ne prennent aucun risque à en essayer de nouveaux.

Cependant, avoir une multitude de joueurs, aussi gratifiant soit-il pour un développeur, ne rapporte rien intrinsèquement. Une fois un nouveau joueur acquis, ces jeux en « Free-to-play » (business model signifiant qu’il est gratuit de jouer, par opposition au modèle « pay-to-play » des jeux traditionnels, où il faut payer le produit avant de pouvoir l’essayer), doivent trouver un moyen de gagner de l’argent.

Dans la majorité des cas, les développeurs y parviennent en proposant à leurs joueurs d’acheter des biens virtuels : objets, pouvoirs, personnages par exemple, qui remplissent globalement deux fonctions : accélérer la progression du joueur ou lui procurer une expérience de jeu différente.

Par exemple, Candy Crush propose aux joueurs d’acheter divers bonus permettant de terminer avec plus de facilité les niveaux les plus ardus du jeu.

Quelques joueurs réalisent la majorité des dépenses

Évidemment, la majorité des joueurs ne sont pas prêts à dépenser de l’argent dans ces jeux dont l’entrée est gratuite. King, le développeur de Candy Crush, nous informe par exemple que 70% des joueurs qui terminent le jeu ne dépensent pas un centime.

De manière générale, la rentabilité des jeux mobiles en téléchargement gratuit est aujourd’hui assurée par une toute petite partie de leurs joueurs. Moins de 5% des joueurs dépensent de l’argent, et parmi ces joueurs, environ 10% représentent souvent plus de 50% des revenus du jeu.

Il faut donc un volume total de joueurs suffisamment important pour que, malgré le petit pourcentage de joueurs payeurs, ces derniers soient en nombre suffisant pour que le jeu soit rentable. Le chiffre d’affaire du jeu va donc dépendre :

  • Du nombre de joueurs
  • Du pourcentage de joueurs qui vont dépenser de l’argent dans le jeu (appelé taux de transformation)
  • Du revenu moyen par joueur payeur

L’augmentation des deux dernières variables est assez complexe et varie grandement selon le type de jeu et son public. En revanche, augmenter sa base de joueurs est « simple », notamment par l’utilisation de campagnes marketing d’acquisition en ligne.

Campagnes d’acquisitions : outil pratique mais de plus en plus coûteux

Le procédé est simple : des publicités sont postées sur divers supports (sites internet, autres jeux, applications mobiles, …) et le développeur rémunère le publicitaire selon des critères choisis préalablement.

Anciennement, ces services étaient facturés au coût par millier de vues (CPM, prix pour chaque mille joueurs visionnant la publicité) ou au coût par clic (CPC, prix par utilisateur cliquant sur le lien de la publicité). Aujourd’hui, afin de s’adapter aux demandes des développeurs, pour qui le plus important est que l’application soit installée, la plupart des publicitaires proposent un coût par installation (CPI).

Problème : acquérir des joueurs via ce biais est cher. Trop cher, sans doute, puisque depuis l’année dernière les coûts par installations sont passés devant les revenus moyens engrangés par joueurs.

Or pour un éditeur, le calcul est simple : si la prévision de gain par joueur est inférieure à son coût d’acquisition, sa campagne marketing ne sera pas rentable. Cela signifie donc, qu’en moyenne, les développeurs perdent de l’argent via ces campagnes d’acquisition.

Évidemment, ce n’est pas le cas pour tout le monde. Les succès de Candy Crush ou de Clash of Clans, qui affichent chaque jour un revenu supérieur au million de dollars pour trente à quarante mille installations, sont là pour nous le rappeler.

 

Les raisons d’un comportement qui semble irrationnel          

Et puis, en pratique, le problème est un peu plus complexe. Un joueur acquis via la campagne marketing peut faire venir des amis sur le jeu, faisant ainsi baisser le coût d’acquisition effectif. Exemple : si chaque joueur acquis via la publicité en amène un autre dans le jeu, le coût d’acquisition est effectivement divisé par deux.

Par ailleurs, les éditeurs sont souvent obligés de maintenir un certain niveau de téléchargement, et ainsi garder une certaine visibilité pour leurs jeux dans les classements des stores (magasins d’applications).  Ce qui implique des dépenses marketing, qui poussent encore les coûts d’acquisition vers le haut.

D’une manière générale, seuls les éditeurs importants peuvent se permettre sans trop de risque les coûts de plus en plus démesurés d’une grande campagne d’acquisition. Ce qui explique aussi pourquoi seuls quelques acteurs se partagent la grande majorité des classements des différents stores.

Le futur s’annonce donc sombre pour les développeurs de jeu. Certaines prédictions vont jusqu’à annoncer que moins d’une application (jeux compris) sur dix mille sera considérée comme un succès financier d’ici 2018.

La lutte des petits pour survivre

Face à cette domination, les petits et moyens éditeurs se mettent en quête de méthodes alternatives pour se faire connaître et communiquer autour de leurs jeux.

La meilleure, pour le moment, reste de cibler un marché de niche en se différenciant des jeux les plus populaires. En proposant un jeu original et/ou choquant, les éditeurs peuvent espérer faire le buzz et augmenter leur base de joueurs sans avoir à débourser un centime directement – le graal de l’acquisition de joueurs.

Par exemple, le jeu Fun Run 2 met en scène des animaux de cartoons très mignons dans une course ou la moindre erreur entraînera une mort violente et souvent sanglante du personnage. Cette approche subversive séduit un public, réduit certes, mais bien réel. Résultat : sans campagne marketing importante, le jeu a vu son public gagner des dizaines de millions de joueurs, de manière organique, par le bouche à oreille et les réseaux sociaux.

Le futur grand hit ?

Finalement, pour tout éditeur, grand ou petit, reste le rêve ultime : sortir le prochain Candy Crush ou Clash of Clans. En effet, rien n’est éternel, et surtout pas les jeux mobile : une fois la phase de croissance terminée, 50% des jeux perdent la moitié des joueurs en 2 mois. Et pour Candy Crush par exemple, cette décroissance a démarrée en mai 2014. Avoir tenu aussi longtemps est déjà exceptionnel.

Dans ces conditions, l’arrivée du prochain succès mondial n’est qu’une question de temps. Mais signer un tel jeu dépend d’une multitude de facteurs en plus d’une qualité intrinsèque élevée ; y arriver serait l’équivalent pour un éditeur de gagner au loto.

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