La révolte grondait déjà depuis longtemps, mais la guerre va bientôt faire rage. L’objet du conflit ? La neutralité du net. Derrière ces trois petits mots se cachent un enjeu de taille pour les Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) et les fournisseurs de contenus à qui ils s’opposent : décryptons ensemble ce qui se cache derrière ce sujet récurrent des titres de l’actualité.
Le principe fondateur remis en cause : un net neutre
Le principe de neutralité du net vise à garantir l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Il exclut ainsi toute discrimination de la part des FAI à l’égard :
- de la source : par exemple, un débit moins rapide pour les abonnés n’ayant pas souscrit une option spécifique remet en cause la neutralité du net
- de la destination : le blocage de certains sites peut être considéré comme de la censure
- du contenu de l’information transmise sur le réseau : le blocage de services spécifiques tel que Skype est un autre exemple de mise en défaut de la neutralité
In fine, il s’agit donc de respecter ce pourquoi Internet a été conçu : un réseau qui transporte l’information, sans priorisation ni regard sur ce qui transite.
Des intérêts divergents : les FAI contre le reste du monde
A la tête des partisans de la fin de la neutralité du net, les FAI bien sûr. Des FAI qui supportent depuis bien longtemps les frais de modernisation des réseaux pour absorber l’explosion du trafic qui a accompagné la profusion de l’offre de nouveaux services… dont ils aimeraient percevoir une partie des revenus ! Ces derniers misent également sur la possibilité de proposer des offres différenciées, payantes bien sûr, pour offrir une meilleure qualité de service aux clients qui se laisseraient séduire par des offres d’accès “haut de gamme”.
Certains se sont d’ores et déjà amusés à des exercices d’anticipation en simulant ce que pourraient être les offres des FAI demain, à l’image des bouquets proposés par les opérateurs télé :
Si l’on comprend bien comment les FAI y trouveraient leur compte et donc pourquoi leur lobbying est si important qu’en serait-il pour le reste de l’écosystème? Pour les utilisateurs, cela signifierait un niveau de service inégal : s’ils ont souscrit des offres d’accès spécifiques ou si l’entreprise dont ils utilisent le service a mis la main à la poche, c’est transparent. Dans le cas contraire, des lenteurs seraient à prévoir. Certains acteurs ne pouvant pas se permettre de payer seraient alors délaissés par leurs utilisateurs ce qui induirait un risque de disparition.
Cette prise en otage nuirait également aux nouveaux entrants sur le marché, qui, sans capacité de financement, ne pourraient plus être les leviers d’innovation qu’ils sont dans un net où chacun peut se lancer sans contrainte. Quant aux mastodontes du web, menés par Netflix et Google qui sont les plus gros consommateurs de bande passante, ils ont également beaucoup à perdre : diminution de leurs bénéfices et une contraction du marché sur des acteurs de grosse taille, moins dynamique.
Des rebondissements ces derniers mois : des positions opposées des deux côtés de l’Atlantique
Si certains pays ont déjà légiféré pour la neutralité du net (Pays-Bas, Chili, Pérou, etc.), cette dernière est d’ores et déjà mise à mal via la censure dans certains pays, comme la Chine, ou de FAI soupçonnés de brider certains services gourmands en bande passante.
L’Europe, de son côté, a récemment durci ses positions en faveur de la neutralité du net comme nous l’évoquions début avril : elle redéfinit notamment le concept de neutralité du net et limite les services “prioritaires” aux situations de non congestion du réseau permettant de ne pas dégrader le service d’autres utilisateurs. Le texte doit encore être voté et nous ne sommes pas à l’abri d’évolutions du texte, qui a ses détracteurs.
D’autant plus que la FCC (Federal Communications Commission), équivalent américain de l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes), a proposé en mai de revenir sur le sacro-saint principe de neutralité. Verizon, fer de lance du lobby américain des FAI, avait attaqué le gendarme américain sur le sujet fin 2013 et semble avoir été entendu. Les fournisseurs de contenu pourront donc à l’avenir avoir à payer les FAI pour rendre leurs flux prioritaires (différentiation à l’égard du contenu), et les internautes auront quant à eux la possibilité de souscrire des offres préférentielles (différentiation à l’égard de la source). Et la facture pourrait être très salée… Des analystes ont estimé que Netflix, l’acteur principal de la VOD sur le marché nord-américain, pourrait devoir payer plus de 900 millions de dollars par an ! Une somme qui serait portée par les abonnés si la société refusait de mettre la main au portefeuille, risquant la fuite de ses clients face au surcoût.
Et si en France, où la position sur la neutralité reste fragile, la conscience du grand public n’est pas encore très développée sur le sujet, aux Etats-Unis la proposition de la FCC a soulevé les foules. De multiples initiatives ont été médiatisées, attirant la sensibilité des américains sur le sujet : faux site web créé par Bittorrent pour simuler un Internet à deux vitesses (http://jointhefastlane.com/), et surtout l’excellente vidéo de John Oliver sur HBO qui a réussi à rendre le sujet drôle et accessible à tous. Ce manifeste a généré des dizaines de milliers de commentaires sur le site de la FCC en quelques heures.
Nous n’avons certainement pas fini d’entendre parler de ce sujet. Les multiples revirements de position de ces dernières années et les débats sur le sujet en sont la preuve : les deux camps ont tant à perdre que le combat sera rude. Espérons seulement qu’un équilibre sera trouvé pour qu’il ne mène ni à la mort de l’innovation, ni à l’asphyxie des réseaux… et que la France affirme sa position dans le débat !
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