Le 30 avril dernier, un restaurant unique en France a ouvert ses portes à Bordeaux. Première enseigne de la chaîne Max à table, celle-ci propose à ses clients de manger sur une table entièrement tactile. Déjà présent dans d’autres pays, le concept n’arrive que maintenant en France. Quelle en est la genèse? Comment la tablette positionne le client au centre de l’expérience vécue dans un restaurant? Est-ce le début d’une révolution du monde de la restauration ?
Un concept qui dépasse les frontières
A l’assaut de l’exception française
Max à table n’est pas le premier restaurant connecté en France. En effet, le Fastcook a ouvert ses portes à Rennes fin 2011. Il s’agit d’un fast-food entièrement équipé de tablettes et qui reprend largement les codes du réseau social Facebook. Le concept de ce restaurant repose sur celui de réseau relationnel, d’où l’utilisation des tablettes. Si la digitalisation n’est donc pas au centre du projet, il s’agit tout de même de la première tentative de modification de l’expérience client dans la restauration par le numérique.
Le bar-restaurant Touch’in Paris (dans le VIIIème arrondissement), ouvert depuis début 2012, dispose de vraies tables tactiles. Les applications disponibles sur la table sont principalement axées service (consultation de la carte, commande, appel à un serveur) mais proposent également quelques jeux ludiques et conviviaux.
Max à table se distingue en impliquant davantage le client. Ce dernier peut bien sûr commander depuis sa table, composer son burger à volonté et payer. Il peut également jouer sur la table (à des serious games autour de la cuisine ou à des divertissements sans lien avec le thème), ou naviguer sur internet. Pour exacerber le sentiment d’appartenance du client, Mathias Cadet (gérant du restaurant) et Renaud Colin (président de Digitale interactive, qui fournit les tables) jouent la carte de la transparence. Ils ont imaginé un système qui permet aux clients de voir, depuis leur table, les chefs préparer leurs plats en temps réel. Enfin, la table est munie de caméras infrarouges qui reconnaissent les objets posés dessus. Elle est par exemple capable d’identifier un flacon de parfum et de proposer au client les boutiques alentour dans lesquelles il peut acheter le produit.
Malgré de belles ambitions, ces exemples restent des cas isolés et aucune généralisation n’est en place en France. Au contraire, d’autres pays comme les Etats-Unis ont emboîté le pas de la restauration digitalisée.
Pendant ce temps aux États-Unis…
On assiste à une véritable course à la digitalisation : en septembre dernier, Chili’s a annoncé un plan de déploiement de tablettes dans quelques 800 restaurants. En parallèle, 100 000 tablettes sont en cours de déploiement dans les 1 900 restaurants Applebee’s. Contrairement au cas français elles ont été spécifiquement développées pour la restauration. Il s’agit en effet de tablettes E la carte Presto chez Applebee’s et de tablettes Ziosk chez Chili’s. Elles ont la particularité d’être durcies, résistantes à l’eau et d’intégrer un lecteur de cartes bleues. La différence se fait ensuite au niveau logiciel.
Cette avance vis-à-vis de la France s’explique principalement par une culture de la tablette plus forte, puisqu’elles sont déjà largement utilisées dans l’enseignement et bien intégrées dans le monde professionnel.
La digitalisation au détriment de l’humanisation?
La cocréation est rentable
Nous l’avons évoqué, l’implication du client est au centre du projet Max à table. Cette idée a un mot dédié : la cocréation, qui repose elle même sur le concept d’expérience client rentable.
Et sur ce second point, le tactile semble apporter une réponse, au moins aux États-Unis où de belles évolutions ont été constatées :
- Les pourboires laissés sont plus importants en moyenne de 15%. Par exemple, les taxis New-Yorkais ont intégré des écrans à l’arrière des sièges, et les pourboires moyens ont augmenté de 20%.
- Plus d’apéritifs, de desserts et de cafés commandés : on ne saura pas si ce sont les photos affichées sur les menus virtuels ou le fait qu’il n’y ait pas à attendre de serveur, mais les clients en commandent en moyenne 20% de plus.
- Le temps de présence pour un repas est plus court d’en moyenne 5 minutes, ce qui permet d’avoir un roulement plus important et donc plus de couverts.
La mutation de l’expérience de restauration par les tablettes est-elle applicable à tout va ? Les ressentis d’un client dépendent en grande partie de l’interaction qu’il a avec son serveur. Or le rôle, voire le métier de ce dernier pourrait devoir évoluer, plus ou moins fortement, avec l’arrivée de la tablette.
Les tablettes, un investissement qui rencontre des résistances
Les pionniers ne manquent pas d’arguments pour convaincre les plus réticents. A court terme, la rentabilité est améliorée. Le coût d’une tablette est moins important que celui d’un serveur. De plus, les processus habituels gagnent en efficacité. En effet, les traitements informatiques sont plus fiables et rapides, les commandes numériques gagnent donc en lisibilité ce qui réduit la confusion en cuisine.
A long terme c’est la satisfaction client qui fait la différence. On ne sait pas quantifier précisément la plus-value liée à celle-ci. Néanmoins, un client satisfait est un client fidélisé voir fidèle et potentiellement un ambassadeur. Plus ce dernier est impliqué et satisfait, plus la réputation, voire l’e-reputation de l’enseigne bénéficient de l’expérience client.
Les détracteurs avancent eux de manière plus classique la perte d’interactions sociales avec ses convives ou le fait qu’il y ait toujours plus d’écrans dans notre quotidien. Un éclairage décisif est néanmoins apporté : celui de la perte de l’expertise du serveur au profit des renseignements « standardisés » de la table.
Le concept n’est pas applicable partout
Dans les grandes chaines (types fast-food), où l’objectif des clients et des gérants est d’aller vite, la tablette devient un allié de choix puisqu’elle permet de gérer les opérations basiques habituellement faites par les serveurs.
Dans les restaurants « intermédiaires » la tablette pourrait être considérée comme un outil non pas pour le client mais pour le serveur. Elle constitue un support au serveur dans sa qualité de « consultant gastronomique » ce qui lui permet de conserver une certaine qualité relationnelle tout en améliorant l’efficacité du service rendu.
A contrario dans les grands restaurants, le client recherche un cadre d’exception, une expertise et surtout un service quasiment one-to-one. Le serveur, au centre du dispositif, est clairement ambassadeur du restaurant. Dans ce cas, la tablette ne saurait se substituer à ce décorum et dégraderait l’expérience client.
La valeur ajoutée du concept dépend donc de la population ciblée par le restaurant et de la prestation correspondante attendue par le client. La digitalisation des restaurants ouvre la porte à la question de l’innovation dans la relation client par la transformation du métier de serveur.
2 thoughts on “Les restaurants connectés arrivent : et si les tablettes se substituaient aux serveurs?”