Vous avez certainement entendu parler d’Airbnb, la plateforme de location de chambres, d’appartements et de maisons entre particuliers. En 2012, ce site de consommation collaborative a permis à plus de 4 millions de voyageurs dans le monde de séjourner dans l’un des 3 millions de logements référencés ! Avec son chiffre d’affaires estimé à 1 milliard de dollars en 2013, la start-up créée en 2008 fait pâlir d’envie les mastodontes du tourisme. Notre éclairage va essayer de décrypter pour vous ce nouveau modèle de consommation, aussi appelé sharing economy.
Une nouvelle façon de consommer qui affecte tous les secteurs
L’hôtellerie n’est pas le seul secteur à voir ses acteurs historiques concurrencés par de jeunes entreprises au modèle économique atypique. Blablacar, le spécialiste français du covoiturage aux 3 millions d’inscrits, est une alternative aux transports en commun en pleine croissance, et qui concurrence sérieusement les voyagistes traditionnels comme la SNCF. On retrouve des exemples de ce type dans une multitude de secteurs : les FabLabs révolutionnent les modes de fabrication en mettant à disposition de tous des moyens techniques et humains pour le prototypage rapide ; les aventuriers en herbes peuvent proposer leurs services contre le gîte et le couvert grâce au Wwoofing ou camper chez l’habitant via Gamping ; l’entreprise française eWorky permet à n’importe quelle société de mettre un bureau, une salle de réunion ou même un centre d’affaires en sous-location…
Le point commun de toutes ces initiatives ? La création d’un nouveau modèle économique basé sur le partage. En mettant des particuliers ou de petites structures en relations les uns avec les autres, ces start-ups cassent les prix du marché et permettent aux contributeurs d’arrondir leurs fins de mois. Présentée par le Time Magazine comme l’une des 10 idées qui vont changer le monde, la consommation collaborative engendre indiscutablement des mutations profondes au sein de notre société. Mais ce nouveau modèle peut-il transformer durablement l’économie ?
Une révolution avant tout sociale
Selon une étude réalisée en juillet 2012 par l’Observatoire Société et Consommation sur l’évolution des consommations émergentes, 83% des Français estiment aujourd’hui qu’il est plus important d’avoir accès à un produit que de le posséder. Si le 20ème siècle était « l’ère de la propriété », le 21ème siècle sera « l’ère de l’usage ». Plus les biens ou services coûtent cher à l’achat et sont utilisés de manière occasionnelle, plus la possibilité de partager s’avère rentable pour leurs usagers. Ces nouveaux circuits commerciaux sont facilités par l’explosion d’Internet, qui rend les échanges de pair à pair particulièrement faciles et attractifs.
Ce modèle de consommation peut-il transformer durablement l’économie ?
Un nouveau modèle émerge : contrairement au schéma traditionnel dans lequel l’entreprise vend et le consommateur achète, chacun peut désormais devenir tour à tour fournisseur et client. Pour les particuliers en quête de revenus complémentaires et les petits acteurs locaux – cuisiniers, guides, bed & breakfasts, etc. – en mal de visibilité, l’économie de partage est une véritable opportunité. Par exemple, le marché des guides locaux est évalué à 400 000 personnes dans le monde. Pour les petits offreurs qui louent leurs biens ou leurs services, l’intérêt économique est donc immédiat. Selon les estimations du magazine Forbes, les bénéfices cumulés des petits offreurs pesaient 3,5 milliards de dollars en 2013, un chiffre en hausse de 25% sur un an.
Pourtant, s’il attire de plus en plus d’acteurs – certains vont même jusqu’à parler de bulle –, ce modèle économique n’en reste pas moins fragile. Et pour cause, monétiser la notion de partage n’est pas aisé. L’intérêt est donc moins évident pour les plateformes communautaires qui assurent les transactions. Le plus souvent, ces intermédiaires de la consommation collaborative se rémunèrent via des commissions. Pour sa part, la plateforme de covoiturage Blablacar prélève 5 à 15% du montant de la réservation pour couvrir les frais de service et de TVA. D’autres, comme son concurrent européen Carpooling, tablent sur des revenus publicitaires. Il promeut par exemple Eurolines, le spécialiste européen du transport en car. Enfin, la plupart des FabLabs tirent une partie de leurs ressources de la cotisation annuelle de leurs utilisateurs. Malgré la diversité des sources de revenus testées par les start-ups de la sharing economy, leur rentabilité reste encore à éprouver. La plupart des start-ups qui ont investi ce créneau en sont encore à lever des fonds plutôt qu’à gagner de l’argent.
Toutefois, les plateformes capables d’apporter une réelle valeur ajoutée, de proposer un service différenciant et d’atteindre une taille critique d’usagers peuvent réussir. Après 6 ans de croissance exponentielle mais aussi de difficultés pour atteindre la rentabilité, AirBnB est désormais valorisée à 2,5 milliards de dollars… et est érigée en symbole du succès de ce mode de consommation alternatif.
Quel modèle pour 2030 ?
En fait, l’avènement de ce nouveau modèle économique remet surtout en cause les acteurs traditionnels. Dans chaque secteur concerné, ils se montrent inquiets vis-à-vis de cette nouvelle concurrence. Très mobilisés sur ce sujet, les hôteliers dénoncent une « concurrence déloyale » (Roland Heguy, directeur de l’Union des Métiers et Industries de l’Hôtellerie) de la part des sites d’hébergement participatif comme AirBnB. Les offreurs qui y proposent leurs biens et services ne sont pas soumis aux mêmes taxes que les acteurs traditionnels (TVA, impôt sur le revenu). Une évolution de la législation paraît donc nécessaire pour clarifier le cadre légal de ces structures.
Mais surtout, les acteurs traditionnels doivent se réinventer pour répondre à l’évolution des attentes des consommateurs. Pour Philippe Moari, coprésident de l’Observatoire Société et Consommation (l’ObSoCo), « l’essor de la consommation collaborative témoigne d’une certaine perte de la capacité de séduction des formes ordinaires de la consommation marchande, comme en témoigne par exemple le recul des hypermarchés ou la baisse de fréquentation des centres commerciaux. Au-delà des économies qu’elle rend possibles et de sa dimension « responsable », l’économie partagée renouvelle l’expérience consommatoire, qui mêle souvent technologie et lien social. »
Si la troisième révolution industrielle est déjà en marche avec la montée en puissance de l’imprimante 3D, l’essor de l’économie participative pourrait bien aboutir à une véritable révolution économique et culturelle : crowdfunding, partage de biens (maison, nourriture, outils de bricolage, voitures…), troc… Toutes ces initiatives sont viables et exportables sur tous les modèles de consommation.
Avant de crier à la concurrence déloyale, il serait bon que les acteurs de l’économie traditionnelle se remettent également en question. L’émergence de ce modèle économique est aussi une résultante de l’augmentation constante du coût de la vie autant que de la crise et du besoin de revenir à des « vraies » valeurs de partage.