Les professionnels du cinéma français se sont battus pendant deux ans, mais ont finalement obtenu gain de cause. La semaine dernière, le tribunal de grande instance de Paris a en effet ordonné aux principaux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et moteurs de recherche en France d’appliquer une série de mesures pour faire bloquer seize sites de streaming pour les internautes français, dont le très populaire DPStream, qui a drainé à lui seul plus de 2 millions de visiteurs uniques en France en septembre 2013. À l’issue de cette longue procédure, une question se pose, est-ce que cette décision sera susceptible d’enrayer l’essor des sites de streaming en France ou ne représente-t-elle pas seulement une goutte d’eau dans l’océan du piratage ?
La victoire des professionnels du cinéma français
L’offensive judiciaire du cinéma contre les sites de streaming remonte à décembre 2011, portée par plusieurs organisations professionnelles du cinéma dont l’Association des producteurs de cinéma (APF) et la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF).
Le tribunal a estimé que ces derniers avaient apporté suffisamment de preuves que les sites de streaming attaqués en justice étaient « entièrement dédiés ou quasiment dédiés à la représentation d’œuvres audiovisuelles sans le consentement des auteurs » et qu’ils portaient donc atteinte à leurs droits.
Dans les faits, le blocage entrera en vigueur d’ici à deux semaines et durera un an. Outre les sites de streaming, il impactera directement deux autres types d’acteurs :
- Les fournisseurs d’accès à Internet comme Orange ou Bouygues Télécom, auront pour ordre de « mettre en œuvre et/ou faire mettre en œuvre […] toutes mesures propres à empêcher, à partir du territoire français […] l’accès par tout moyen efficace et notamment par le blocage » des seize sites de streaming concernés.
- Les moteurs de recherche comme Google devront de leur côté « prendre ou faire prendre toutes mesures utiles en vue d’empêcher sur leurs services l’apparition de toute réponse et tout résultat renvoyant vers l’une des pages ».
Des réactions contrastées
Cette décision a fait l’objet de réactions très contrastées de la part des acteurs impliqués :
Les organisations professionnelles du cinéma ont salué une « première mondiale s’agissant du déréférencement de sites pirates par les moteurs de recherche et d’une étape capitale vers le respect du droit sur Internet », et ont souligné que le jugement « reconnaît le bien-fondé de la démarche contraignant les FAI et les moteurs de recherche à coopérer avec les ayants droit ».
À contrario, les organisations de défense des droits des internautes, à l’instar de la Quadrature du Net ont exprimé des regrets quant à cette décision : « Cet arrêt vient une nouvelle fois avaliser les formes de censure privée qui se développent partout sur Internet et minent les droits fondamentaux », a déclaré l’un de ses membres fondateurs.
Les moteurs de recherche et les fournisseurs d’accès à Internet, ont refusé pour la plupart de commenter la décision de justice. Même si les coûts techniques du blocage seront pris en charge par les ayants droit, ils avaient exprimé pendant leur audience une certaine méfiance vis-à-vis d’une décision de ce type.
Google opte par exemple pour une traque au cas par cas plutôt qu’un blocage de sites entiers qui abritent parfois simultanément des contenus légaux et illégaux, comme c’est justement le cas de sa filiale Youtube où des ayants-droit demandent tous les jours le blocage de contenus illégaux qui ont fait leur apparition sur le site.
Le blocage des sites de streaming, une utopie ?
De nombreux observateurs se sont accordés sur le fait que le blocage des sites de streaming n’est pas la solution idoine en soulignant qu’opter pour le blocage de sites revient à entrer dans une course technique avec les utilisateurs. La justice ne peut pas aller aussi vite qu’Internet.
Plusieurs moyens de contournement sont en effet utilisés par les internautes, tels que :
- L’utilisation d’un VPN pour maquiller son adresse IP, et faire croire qu’on accède à Internet depuis l’étranger
- L’utilisation d’un serveur DNS alternatif
- L’utilisation plus complexe d’un logiciel de routage Tor que beaucoup de sites ne reconnaissent pas
Selon une enquête de l’Hadopi, l’autorité anti-piratage, parue la semaine derrière, environ un pirate sur cinq se sert de telles stratégies de contournement.
Toutefois, si le blocage des sites de streaming n’est pas la solution adéquate, on peut se demande s’il en existe vraiment une ? Hadopi, qui a souligné avec prudence, qu’il faudrait observer avec attention l’impact de la décision sur la consommation en ligne, porte actuellement sa réflexion sur les modes d’accès aux productions cinématographiques, ou aux séries, de façon légale sur le Web.