D’abord il y eu ce jour triste où mon smartphone est parti au SAV.
Le SAV fait peur à tout le monde : on y envoie son gadget électronique préféré avec l’impression qu’on se sépare de lui pour l’éternité, ne sachant jamais réellement quand il reviendra. Ceci est particulièrement vrai lorsque l’on y envoie son smartphone. Ou est-il plus exact de dire : lorsqu’on y envoi son répertoire, son agenda, sa « to do » hebdomadaire, sa barre de recherche Google, son sens de l’orientation, sa revue de presse matinale, ses messageries pro et perso, sa dose de divertissement quotidienne…sa vie sociale ? Évidemment je grossis quelque peu le trait, mais selon une étude KPCB, un utilisateur de smartphone sort en moyenne 144 fois par jour son terminal de sa poche : rapporté à une journée de 18h de réveil, cela représente un coup d’œil toutes les 7 minutes 30 !
Mais voilà, nos smartphones ne sont pas increvables, et j’ai récemment fait l’expérience de déposer le mien au SAV. D’abord il y eu la peur, puis le déni, puis le manque, puis la résignation, et enfin l’illumination ! Récit.
Quand les notifications ne sont pas là, le cerveau pense.
Parmi les 144 contacts quotidiens de l’utilisateur avec son smartphone, certain sont à l’initiative de ce premier, mais la majorité répond à une injonction de ce dernier : messagerie pro, messagerie perso, réseaux sociaux multiples, messageries instantanées, push de news…sans compter les sms et les appels, votre smartphone ne cesse de solliciter votre attention par un bruit, un signal lumineux ou une vibration. Au travail, alors que notre esprit tente de se consacrer à l’accomplissement de notre mission, ces sollicitations sont autant d’interruptions de notre concentration. Notre continuité attentionnelle est rompue toutes les 7 minutes trente environ ! Quelle tâche pouvons-nous accomplir en sept minutes trente ? Quel raisonnement pouvons-nous développer en sept minutes trente ?
Si les études convergent désormais pour attester des gains de productivité pouvant être engendrés par le déploiement d’une flotte de smartphones ou par l’introduction du BYOD, la question se pose. Il n’y a probablement pas de « one best way », mais il paraît désormais important d’en cadrer l’usage. La tendance s’observe déjà dans quelques entreprises, à l’image d’IBM qui a décidé l’an dernier, de couper le serveur mail des Blackberry de ses employés en dehors des heures de travail.
Notons enfin que plus de 47% des utilisateurs de smartphones ont plus de 35 ans, et rappelons-nous que le premier Iphone est sorti en 2007. Cela signifie que les smartphones sont des outils (de travail) encore neufs, dont nous devons encore apprendre (imaginer ?) l’usage. (Je n’inclus pas les premières générations de Blackberry dans la catégorie « smartphone », car les usages évoqués ici ont été permis par l’arrivée des applications, que ne proposaient pas les premiers Blackberry).
Le smartphone peut provoquer une addiction.
Tom Stafford, conférencier de l’Université de Sheffield, le soutient et compare l’addiction au smartphone à l’addiction aux jeux de hasard. Il dresse un parallèle entre le comportement de l’utilisateur de smartphone et celui du joueur de casino : les deux sont prisonniers de ce qu’on l’appelle un programme de renforcement à intervalle variable. Par « renforcement » il faut comprendre « récompense » : dans le jeu de hasard la récompense est le gain remporté, avec un smartphone la récompense est la satisfaction qui peut provenir d’une bonne nouvelle par mail, d’un push annonçant la victoire de son équipe préférée, de l’ajout en ami de la demoiselle ou du jeune homme rencontré(e) la semaine précédente, ou même (apprécions les plaisirs simples) de l’heure tardive qui annonce un retour à la maison. Par « intervalle variable », comprendre le caractère aléatoire de la récompense. Ce type de comportement se trouve être particulièrement addictif, à tel quel point qu’il est fréquemment utilisé dans le dressage animal !
Au sein du panel utilisé par le psychologue anglais Richard Balding (Université de Worcester), une majorité des utilisateurs de smartphones observés se décrit comme « malheureuse » et/ou « stressée » lorsqu’elle ne reçoit pas de nouvelles notifications, ou lorsque son smartphone est éteint ou hors de portée. Certains d’entre eux déclarent même ressentir les vibrations fantômes de notifications inexistantes. Il est donc évident que la responsabilité ne se trouve pas uniquement entre les mains de l’entreprise, mais également entre celles des utilisateurs eux-mêmes. Apprenons à ne pas faire dériver nos usages pour ne pas que nos smartphones finissent par prendre l’ascendant.
Je rêve de vacances, de bouquiner sur la plage, au soleil, portable éteint.
Les études montrent que les smartphones sont souvent achetés en premier lieu pour des raisons professionnelles : messagerie mobile, partage de données, planification, prise de note, etc… Mais elles montrent que ces usages sont très rapidement complétés par des usages personnels, principalement sociaux. Selon une étude Médiamétrie, pour 75% des utilisateurs, un smartphone est avant tout un outil qui permet de rester connecté à son réseau. Le stresse généré par une connexion sans interruption à ses réseaux et à leurs sollicitations est à coupler au besoin – à l’urgence – que certains utilisateurs ressentent d’y répondre. Avec notre smartphone, notre monde ne peut plus s’arrêter de tourner, même la nuit. Et même s’il s’agit de nos réseaux personnels, il faut être un vrai pro pour rester réactif ! La question qui se pose donc est la suivante : notre usage professionnel a dérivé vers un usage personnel, mais ne serait-on pas en train de boucler la boucle en professionnalisant nos usages personnels ? Ainsi, nous ne serions réellement en vacances que lorsque notre smartphone est éteint.
Vous l’aurez peut-être deviné, lorsque que mon smartphone est (finalement) revenu du SAV, il n’est pas retourné dans ma poche. Je l’ai troqué contre le stupidphone de remplacement auquel je m’étais finalement (ré) habitué non sans peine je l’avoue (il faut dire que les ancêtres des smartphones paraissent aujourd’hui peu user friendly). Il est par contre dans mon sac, dans une tentative d’usage maîtrisé, dans le sens de la productivité !