L’année 2012 a vu l’arrivée de Free mobile dans le paysage français avec toutes les conséquences détaillées dans la 1ère partie de notre analyse sur les perspectives du marché français du mobile.
Une question restait en suspens : comment les acteurs, opérateurs historiques comme MVNO, vont-ils rebondir pour remodeler le secteur du mobile ?
La data, clé d’une nouvelle segmentation des offres mobiles
Sur un marché où le cœur du produit est le même pour tous les opérateurs, ceux-ci ont depuis longtemps prouvé la force d’une bonne segmentation et d’offres bien adaptées à leur cible. Jusqu’à ce que le « tout illimité » mette ce modèle à mal, la durée d’appel découpait les offres : aujourd’hui, la seule promesse d’un service plus performant ne suffit plus à faire payer plus cher.
Le nouvel eldorado semble se trouver dans la data et les réseaux de nouvelles générations (4G). Dès 10€, quasiment toutes les offres proposent la voix en illimité, mais pas d’internet mobile. Plus il monte dans la gamme de forfait, plus le client dispose d’un volume important de data – Free ayant là aussi repoussé les limites habituelles. Enfin, pour différencier leurs offres premium, les opérateurs mettent en avant la vitesse de connexion de la 4G et proposent des formats plus haut de gamme – et plus chers. C’est ainsi que la 4G ne sera pas disponible chez Sosh, seulement chez Orange.
Les offres premium ont d’autres atouts : le subventionnement du mobile par exemple, qui a beaucoup souffert de la généralisation des offres sans engagement, reste intéressant pour attirer des clients et garantir un revenu régulier. Free, ardant opposant du subventionnement, est en train de changer son fusil d’épaules et a annoncé vouloir repenser le subventionnement via une offre « agressive ».
Reste enfin l’argument service client et les boutiques, permettant aux clients d’être accompagnés par l’opérateur. Tous font pourtant des économies de ce côté, en arrêtant certains partenariats (notamment The Phone House ) et en concentrant au maximum leurs boutiques.
Mais le marketing des offres dépend des acteurs en place et de leur stratégie, avec d’un côté les MVNO et de l’autre les opérateurs historiques, rejoint par Free depuis un an.
MVNO, le salut par la segmentation ?
Alors que l’année 2012 a marqué un coup d’arrêt dans la croissance des MVNO, ceux-ci gardent toujours des atouts intéressants. Si l’on regarde ce qui se fait chez nos voisins, en Europe comme aux USA, le nombre de MVNO impressionne.
La clé de ce foisonnement ? La segmentation en niches toujours plus spécifiques, avec un marketing taillé sur mesure. On retrouve alors le principe de communautés, avec des opérateurs ciblant uniquement les vétérans de guerre, les hispanophones, les gays ou les sportifs.
Les données clients deviennent alors bien plus intéressantes : alors qu’un opérateur classique sera incapable de cerner les habitudes de segments précis parmi ses clients, la base utilisateur d’un MVNO de niche / communautaire pourra remonter et exploiter des données très précises sur les comportements utilisateurs. Rajoutez le NFC (et donc les habitudes d’achat) et le MVNO se retrouve en possession de données que tous les opérateurs mais aussi tous les acteurs vont envier ! Reste à savoir comment les exploiter… dans les limites du cadre réglementaire du pays concerné.
En France, Prixtel a annoncé des offres modulaires spécialement dédiées aux pros. La cible est encore large, mais c’est un segment sur lequel le low-cost n’est pas l’unique critère et qui demande d’être adressé différemment. Autre exemple avec La Poste, qui a baissé ses tarifs tout en supportant la H+. Positionnement inverse pour Virgin, mis en difficulté par le coût de sa croissance : le MVNO est obligé d’acheter des éléments réseaux pour abaisser ses frais, mais pourra-t-il atteindre une taille critique suffisante ?
Ces refontes restent timides et il est fort probable que de nombreux acteurs émergent sur des niches spécialisées.
Quel avenir pour les 3 opérateurs mobiles historiques ?
L’arrivée de Free a rendu les analyses à long terme difficiles. Quelles grandes lignes peut-on cependant voir émerger ?
La première hypothèse est optimiste, avec un équilibrage des marchés progressifs et des acteurs acceptant des marges plus faibles… Le marché tendra progressivement à l’équilibre, aidé par des synergies entre le mobile et l’internet. Nos voisins ont souvent des marchés structurés autour de 4 grands opérateurs (Angleterre, Allemagne, Espagne…). La France pourrait faire de même, avec évidemment des acteurs inégaux – mais suffisamment rentables et au positionnement clair.
D’autres envisagent à l’inverse une concentration du marché. Celui-ci s’est construit progressivement jusqu’à atteindre cet écosystème tripartite stable… avant Free. Cette stabilité était d’autant plus forte que le marché reste petit : pour des acteurs locaux, les effets volumes et levier de négociation ne sont pas aussi forts qu’aux USA ou en Chine. Cette situation a d’ailleurs conduit à des excès, allant jusqu’à une entente illégale entre les 3 opérateurs.
Orange, indéboulonnable, fait le gros dos, mais peut s’appuyer sur un réseau de boutiques pour rester proche de ses clients, continuer de rassurer sur son SAV et mettre en avant la qualité de son réseau, maintenant ainsi sa base utilisateurs.
Le cas SFR est moins lisible, avec un attentisme étonnant après l’annonce de Free, une offre RED timide, le lancement de Joe sans vrai succès, et actuellement une communication offensive autour de la 4G. L’opérateur serait-il à vendre ? Pourtant, la baisse de sa capitalisation devrait inciter les actionnaires à attendre des jours meilleurs. Sauf si ce rebond ne venait jamais ?
Enfin, Bouygues Telecom a fait preuve d’un certain réalisme, calquant son offre B&YOU sur Free Mobile pour garder un maximum de clients sur son réseau. La société se recentre sur le web, en diminuant la voilure physique. Sa stratégie d’achat de licences 4G semble payer : comme pour la 3G, la société s’est montrée prudente et n’a pas sorti le plus gros chèque. Elle pourrait être récompensée en récupérant ses bandes 2G et les convertir.
Mais la concentration pourrait prendre un visage moins classique. Orange fait un gros lobbying pour mutualiser les investissements réseaux au niveau Européen. Plus globalement, les trois opérateurs historiques semblent discuter activement sur le partage des investissements en France. Pourquoi dès lors ne pas imaginer un modèle de partage des coûts ? Cela peut se faire sur le mobile, dans les zones moins denses par exemple, permettant de couvrir toute la population à moindre coût. Cela pourrait également se faire grâce à des synergies entre fixe et mobile : Numéricable et Bouygues sont partenaires pour le réseau physique, iront-ils plus loin ? Le temps presse (le gouvernement aussi) et la fenêtre de tir pour le partage des investissements n’est pas énorme…
2013 reste une année incertaine et de nombreux ajustements sont à attendre sur le marché du mobile. Free a rebattu les cartes et les acteurs en place doivent commencer à montrer leur jeu. Une belle partie en perspective !
Article écrit avec l’aide de Simon Pienne, manager, et Romain Lecomte, consultant senior.
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