Pays majeur de l’Afrique de l’Ouest, le Sénégal a une carte à jouer dans le numérique pour assurer son développement. Afin de vous donner une idée plus précise de son potentiel et des obstacles qui restent à affronter, je vous propose un panorama Télécoms du pays, élaboré après une expérience de plusieurs mois sur place.
Une dynamique favorable
Au mois de novembre 2012 au Sénégal, il était possible d’assister à un nombre impressionnant d’évènements Tech : Innov’Africa, Carrefour des Possibles, SISIT (salon Orange de l’Innovation, autour du Cloud), Mobile Monday, ConnecTIC, un Startup WeekEnd à Saint Louis.
S’y ajoute quelques structures d’encadrement telles que la CTIC (incubateur), JokkoLabs (coworking), la villa ACT. La présence des bureaux régionaux de Nokia, Microsoft, Google et IBM a permis l’organisation de Google Days ou la mise en place de chaînes YouTube locales. En outre, le think tank Osiris tente depuis de nombreuses années d’évangéliser autour d’Internet. On remarquera encore la naissance d’un mouvement d’entraide via les réseaux sociaux (Sunucause), dérivé d’un mouvement citoyen (Sunu2012) né des incertitudes démocratiques durant les dernières élections présidentielles sénégalaises.
Au niveau des services, on note la présence de 3 opérateurs mobiles et une licence de marque (Kirène par Orange) utilisant le réseau de distribution de cette marque d’eau minérale. Orange Sonatel, l’opérateur historique, a plus de 60% de parts de marché dans la téléphonie mobile et a une position de monopole de fait sur le fixe/Internet, avec des Livebox d’ancienne génération. Tigo, filiale du groupe Millicom, est le deuxième opérateur mobile avec un peu moins de 30% des clients mobiles. La société, après plus d’une décennie de contentieux avec le précédent régime, s’est vue octroyer en juillet 2012 une licence globale lui permettant d’envisager des services 3G. Le dernier est Expresso, filiale de l’opérateur historique soudanais Sudatel, qui offre, en plus, des clés 3G en prépayé. De manière générale, la data mobile se consomme essentiellement en prépayé décompté en temps (- de 50c d’€ la 1/2 heure).
Pour les usages, ces quelques chiffres de Socialbakers (avril 2012), Osiris.sn et l’ARTP Sénégal sont assez parlants :
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700K utilisateurs de Facebook sur une population de 12M d’habitants, mais près de 80% de la population en ligne. C’est le 9ème pays en Afrique.
- 400K clients 3G, 95K clients ADSL et 75 clients bas débit, pour un taux de pénétration de 2,8% (sept 2012). A noter, les clients 3G ont fait x4 en 1 an, l’ADSL est stable et le bas débit x1,5. Les chiffres sont à relativiser car ce ne sont pas des abonnés mais des prépayés pour l’essentiel, plus difficiles à suivre.
Des handicaps pour rugir à pleine force
L’essentiel des débats sur les télécoms au Sénégal tourne autour de l’opérateur historique. Il a les qualités et défauts d’un opérateur historique encore hyper dominant et contrôlé en partie par l’Etat : il peut dédier des ressources importantes à la dynamique d’innovation comme on l’a vu plus haut, mais il limite l’innovation par son emprise sur le marché. La régulation, censée faire contrepoids à ce type de position, est encore insuffisante. L’agence sénégalaise, l’ARTP, a de plus connu de nombreuses turbulences ces dernières années, ce qui ne favorise pas l’action de long terme.
Un autre point clé évident est le niveau de développement du pays. Les facteurs limitant sont à la fois le faible taux d’alphabétisation (40%, ANSD 2006) et l’impact des télécoms sur le budget du foyer. La part d’analphabètes n’a pas d’attentes fortes vis à vis d’Internet et souvent des moyens limités. Dans ces conditions, difficile d’imaginer que ces populations vont augmenter la part des télécoms dans leur budget pour utiliser de la data mobile. Sans compter que pour bénéficier d’une bonne expérience, il est nécessaire de s’équiper de terminaux au coût d’acquisition élevé (smartphone, tablette) et souvent non configurés d’emblée pour la data de son opérateur. Avec un besoin limité, un premier accès complexe et coûteux et un réseau data perfectible, les conditions d’un accès large aux NTIC mobiles ne sont pas optimales.
Toutefois, les terminaux mobiles représentent déjà une diminution de coût par rapport à un ordinateur, et leur prix continue de baisser. La barre des 50€ pour des Android bas de gamme devrait ainsi être franchie rapidement. En parallèle, le grand effort de scolarisation actuel devrait, sur le long terme, résorber le facteur analphabétisme.
A un niveau supérieur dans l’Education, on peut également regretter que les filières informatiques (notamment en développement) ne soient pas assez orientées mobile. C’est en effet le point d’entrée des NTIC dans cette région et même les pays occidentaux délaissent de plus en plus le PC pour les outils mobiles et nomades. Corollaire de ce vivier insuffisamment orienté mobile, l’offre de services locaux hébergés localement est plutôt faible, tant au niveau national que au niveau de l’Afrique francophone. Les applications sénégalaises sont peu nombreuses et manquent de qualité, notamment en raison d’un manque de données disponibles pour nourrir les services. Les médias, acteurs clés du contenu, se sont encore peu aventurés sur le digital, où foisonnent des services à la limite de la légalité et peu qualitatifs. A titre de comparaison, le Kenya, le Ghana ou l’Afrique du Sud sont bien plus en devant de la scène en termes de services supportés par Internet et le mobile.
Enfin, il faut noter que le développement d’Internet sur mobile peut aussi passer par le Wi-Fi. Cela permet en effet d’avoir une connexion fiable et puissante, à un coût limité, voir nul. Cependant, il n’y a, à ma connaissance, aucun réseau de hotspots disponibles au Sénégal, que ce soit via des opérateurs commerciaux ou un réseau à la « Free Wi-Fi ». Pour dépasser le faible réseau actuel d’établissements type hôtels et restaurants, il faut dynamiser le marché de l’Internet fixe via la régulation.
Article écrit en collaboration avec www.itmag.sn
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