Le Journal Officiel publiait le 7 mars dernier un décret permettant « d’émettre et d’utiliser des titres-restaurant sous forme dématérialisée ».
À l’heure de la toute puissante dématérialisation, celle-ci promet, si ce n’est une révolution, l’évolution d’un marché jusqu’ici peu dynamique. En effet, ce marché de près de 5,5 milliards d’euros et 3,5 millions de consommateurs répartis dans près de 120 000 entreprises, était composé jusqu’à présent de quatre acteurs : Edenred, Natixis, Sodexo et Chèque déjeuner.
Ce nouveau décret donne l’opportunité à de nouveaux acteurs de proposer des offres différenciantes, bousculant ainsi les habitudes de consommation des utilisateurs et générant de nouveaux enjeux pour l’ensemble des acteurs (émetteurs, entreprises et restaurants partenaires).
Moneo Resto est le premier acteur à se lancer dans la course à cette dématérialisation en proposant une carte bancaire prépayée dès mars 2013. Suivi de près par Resto Flash et son application smartphone. C’est désormais Crédit Mutuel-CIC qui présente son offre « sans papier » de titres restaurants sous le nom de Monetico Resto, une carte bancaire prépayée Mastercard.
Une simplification du paiement, mais des éléments controversés
À l’instar d’une carte bancaire, il suffit pour le salarié d’insérer la nouvelle carte à puce destinée à remplacer les tickets restaurants « papier » dans le Terminal de Paiement Electronique (TPE) d’un restaurant partenaire et de saisir son code confidentiel pour voir le paiement accepté. Si le consommateur retrouve dans ce nouveau dispositif un geste simple et habituel, ses impressions restent partagées quant aux conditions d’utilisation comme l’ont montré certains propos : « La version numérique n’apporte que des problèmes […] j’utilise mes tickets soit pour acheter des plats préparés pour le midi, soit en faisant mes courses pour préparer moi même des plats » ou encore « il m’arrive parfois de donner un titre-restaurant à un SDF, ce que ne permettra pas le passage au numérique ».
En effet, la dématérialisation des tickets restaurants s’accompagne d’un encadrement d’utilisation plus stricte que celui de la version papier. Des usages jusqu’à présent interdits mais pratiqués, comme l’utilisation des tickets hors jours ouvrés, le dépassement du plafond journalier ou encore la cession à des tiers, deviendront inenvisageables avec le nouveau dispositif. Le salarié pourra se consoler néanmoins via l’aspect « sécurité » que lui apporte ce nouveau dispositif : alors qu’il était impossible de récupérer le montant des tickets volés ou perdus, il pourra désormais faire opposition sur sa carte et récupérer la totalité de son solde en cas de perte ou de vol.
Si les salariés ont un avis partagé sur le sujet, les employeurs, eux, perçoivent leur avantage : ils ont dès à présent le choix de fournir à leurs salariés une carte à puce valable 3 ans et rechargeable automatiquement tous les mois, allégeant ainsi la charge administrative des directions des ressources humaines et comptables, liée à la distribution et au comptage mensuel des tickets sous format papier. L’enjeu est alors de taille puisque la gestion centralisée et automatisée des tickets restaurants dans l’entreprise implique un gain de temps et de ressources considérable.
Un circuit peu avantageux pour les émetteurs
Alors que la dématérialisation des tickets restaurant est déjà d’actualité dans plusieurs pays, les émetteurs ont mis du temps à installer ce nouveau dispositif en France. La raison peut paraître évidente étant donné que le nouveau circuit n’est pas tout à fait à leur avantage. En effet, initialement, les émetteurs pouvaient mettre jusqu’à un mois pour payer les restaurateurs. Ils bénéficiaient donc d’une trésorerie positive qu’ils pouvaient réinvestir et faire fructifier comme le souligne Serge Ragozin directeur général de Moneo: « Sur les 5,5 milliards d’euros du marché français, il y a en permanence 1 milliard d’euros de trésorerie placé sur les marchés. Les opérateurs gagnent surtout de l’argent là-dessus ». Le délai de paiement des restaurateurs passe à 48h avec la dématérialisation, une formule désavantageuse pour les émetteurs qui risque de les contraindre à augmenter les frais liés à cette nouvelle solution de paiement.
Un avenir certain car dans l’ère du temps, mais des limites réelles
La démarche qu’entreprennent les nouveaux entrants pour pénétrer le marché repose sur l’innovation. A l’heure de l’ère du numérique, les plus grands bénéficiaires potentiels de cette « digitalisation » sont les start-up qui vont œuvrer pour adopter des démarches innovantes afin de pénétrer le marché à l’instar de Resto Flash qui permet aux salariés de payer leur repas via une application Smartphone. Pour compenser l’augmentation des frais liée à la dématérialisation, il faudra offrir de nouvelles fonctionnalités telles que la consultation du solde en temps réel, le partage d’addition ou encore les bons plans géo localisés.
Aussi, face à cette dématérialisation, se pose la question de la gestion des données collectées par ces cartes. Certains y voient un risque lié à la confidentialité des données personnelles. Edouard Girard, directeur général de Natixis Intertitres affirme qu’ « il est très imprudent de se lancer sur ce terrain avant que l’on ait clarifié ce que l’on souhaite faire avec ces informations ». Les leaders relèvent-ils là un réel point sensible de la dématérialisation où sont-ils simplement en train de jouer la montre ?